Le vivant, la vraie singularité ?

 

Plusieurs publications récentes laissent penser que la réflexion sur la vie redevient d’actualité, par exemple La vie, mode d’emploi critique de Didier Tassin (Seuil, 2018). De plus en plus, des voix s’élèvent pour rendre aux vies invisibles leur visibilité ou tentent de faire entendre le témoignage de ces voix inaudibles : les exclus, les minorés, les migrants minorités … De plus en plus se pose la question pressante de la qualité des vies. Toutes les vies sont égales, en droit : en fait, les vies sont de qualité inégales. La question de la « vie bonne » a trouvé aussi un sursaut de pertinence théorique depuis que la philosophie américaine J. Butler, reprenant une assertion du philosophe allemand Adorno demande : « comment peut-on mener une vie bonne dans une vie mauvaise ? ».

Peut-être le temps est-il mûr pour que les sciences sociales et les sciences biologiques nouent un dialogue autour de la vie, pour réunir le vivant et le vécu, le biologique et le biographique (Tassin). En tous cas, elles pourraient ou peut-être devraient en trouver l’occasion pour résister ensemble au déploiement de l’idéologie du transhumanisme (augmentation de la vie humaine) et du projet posthumaniste (amélioration de la vie humaine vers une espèce plus performante).

L’enjeu pourrait en être le suivant : comment construire la cohabitation du vivant et de la machine qui, par ailleurs, est inéluctable ? Doit-on accepter comme seule possibilité l’intégration du vivant dans le numérique ? On se permet donc de signaler dans ce contexte la position isolée de Miguel Benasayag (déjà l’auteur de Cerveau augmenté, homme diminué, La Découverte) qui vient de publier La Singularité du vivant (Le pommier, 2017).

Est-ce que la différence entre le vivant et la machine est seulement quantitative ? On parle beaucoup de la Singularité dans le monde des NBIC. Et si la singularité était le vivant lui-même ? Et si la défense de la singularité de l’humain (culture) passait par la défense de la singularité du vivant contre le “tout numérique”. En tous cas, c’est la thèse iconoclaste de Benasayag : le vivant (et la culture) est l’autre de l’algorithme. Autrement dit, il y aurait deux modèles possibles et non pas seulement un :

  • assimilation du vivant (différence biologique) et du culturel (différence anthropologique) au modèle informatique dominant, à partir du présupposé de l’algorithmisation universelle
  • hybridation du vivant et du numérique à partir de la reconnaissance de la singularité du vivant et du culturel

La responsabilité serait de tenter de penser rationnellement la singularité irréductible du vivant, ce qui serait peut-être la condition d’une sagesse qui se cherche pour notre temps.

Laurent Cournarie, Président de la Commission Philosophie de NXU Think Tank

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