Le sujet a été maintes fois débattu et discuté par le passé.
Je ne reviendrai donc pas sur les définitions, que tout un chacun connait, mais je partirai sur un énoncé parmi tant d’autres, de Charles de Gaulle :
“La démocratie, c’est le gouvernement du peuple exerçant la souveraineté sans entrave”.

En effet, la démocratie est définie comme étant le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par le peuple selon le principe d’égalité. Mais nous pourrions philosopher sur chaque mot :

  • Qu’est-ce que le peuple, vaste débat
  • Qu’est-ce la souveraineté de l’état, du groupe, du citoyen,
  • Qu’est-ce que l’entrave, etc..

Quel lien entretiennent la souveraineté et la démocratie ? Le peuple représentant la démocratie, est-il souverain ? Il est possible dans les démocraties libérales, que la souveraineté du peuple soit indéniable, mais ce n’est pas partout le même principe, et la même définition du mot peuple. La forme est souvent différente d’un état à un autre :

  • La souveraineté du peuple médiatisée par la voie représentative,
  • La souveraineté directe du peuple par la voie référendaire,
  • Autres …

Afin d’approfondir les réflexions sur le sujet, je propose dans un premier temps, d’examiner rapidement quelques propositions de Jürgen Habermas sur le sujet. Pourquoi Jürgen Habermas ? Trois justifications de ce choix :

  • C’est un philosophe, toujours vivant, qui s’intéresse à la condition de citoyen, et participe depuis longtemps aux débats de société,
  • C’est un philosophe qui a pensé la Révolution française, à travers plusieurs débats philosophiques, et son prolongement culturel de nos jours,
  • Enfin c’est un philosophe allemand, qui s’appuie pour cela sur la philosophie germanique, et ses prolongements dans la société allemande, en particulier,

Mais n’y a -t-il pas des éléments de progrès à réaliser pour notre culture, sans forcément revenir aux débats entre Rousseau et KANT, entre Proudhon et Marx ?

Il est produit souvent des conclusions différentes à travers les mêmes analyses critiques entre les deux courants de pensée.

Par exemple la critique par Marx et Proudhon des effets délétères pour le monde ouvrier du développement de la société capitaliste libérale, se traduit :

  • Par la proposition de la lutte des classes par Marx, pour améliorer la souveraineté du monde du travail sur son développement,
  • Par la proposition de Proudhon[1] de formation culturelle importante du même monde ouvrier dans le but pacifique d’autodétermination,
  • Par un conflit entre les deux, Proudhon refusant de devenir le correspondant français de Marx

Néanmoins, l’évolution des société française et allemande, depuis le milieu du XX° siècle, montre un collectif centré sur le dialogue social, et une organisation en « länder », détenteurs d’une certaine souveraineté locale pour les allemands, et une lutte des classes centrée dans le contrat social français, issue des accords de la résistance, et toujours présente dans une société française d’organisation centralisée.

Pour sauter un siècle et revenir dans les temps présents, Jürgen HABERMAS a beaucoup écrit et pensé sur les évolutions de la société, et les rapports entre démocratie et volonté populaire.

Des exemples, picorés dans les pensées développées dans les textes de Jürgen Habermas[2], je cite :

  • « Manifestement, la dynamique culturelle produite par la Révolution française n’a pas été stoppée »,
  • « Comment aujourd’hui une république radicale-démocratique pourrait en tant que telle être pensée, si nous pouvions compter avec une culture politique favorable et capable de retentissement – une république que nous n’acceptons pas du point de vue rétrospectif d’un héritage heureux comme une possession, mais que nous poursuivons comme projet dans la conscience d’une révolution devenue à la fois permanente et quotidienne »,
  • « Le point saillant de la réflexion entre KANT, et ROUSSEAU, est l’unification de la raison pratique et de la volonté́ souveraine, des Droits de l’homme et de la démocratie »,
  • HARBERMAS cite Fröbel[3], « qui interprète la décision majoritaire comme un accord conditionné, comme l’approbation par la minorité́ d’une praxis dirigée par la volonté de la majorité. Mais Fröbel exige l’éducation du peuple, un haut niveau d’éducation pour tous ainsi que la liberté́ d’expression théorique et la propagande ».
  • « Le projet anarchiste d’une société qui prend naissance dans un réseau horizontal d’associations, dont Proudhon était le partisan avec d’autres, était déjà (et toujours) utopique ; aujourd’hui, il échoue véritablement face au besoin de direction et d’organisation des sociétés modernes »,
  • « Le rapport interne supposé entre la formation de la volonté politique et celle de l’opinion ne peut assurer la rationalité des décisions que si les délibérations au sein des corps parlementaires ne se déroulent pas sous le signe de prémisses idéologiques données à l’avance ».
  • « Aujourd’hui, c’est bien plus le processus d’une concrétisation controversée de principes constitutionnels universels, qui s’est établie déjà dans les actes de la simple législation »,

Et Jürgen HABERMAS de conclure : « Une telle compréhension culturaliste de la dynamique constitutionnelle semble suggérer que la souveraineté du peuple doit se transférer vers la dynamique culturelle d’avant-gardes formatrices d’opinion ».

En d’autres termes, la culture poussée par des écrivains, des philosophes, des historiens, des sociologues, et j’en oublie, doit être enseignée aux membres de la société, pour en créer les opinions, c’est-à-dire les représentations de cette même société, à côté des éléments factuels, c’est à dire ceux sur lesquels il y a généralement consensus. On se rapproche des concepts de Proudhon.

Dans un autre texte « Réflexion sur le concept de participation politique »[4], mais centré sur l’évolution de la société allemande au XX° siècle, HABERMAS y démontre en 1961 :

  • L’opposition entre la dynamique de démocratisation des institutions et du pouvoir social par la participation des citoyens, et donc la mise en lumière publique et la mise en discussion des enjeux collectifs, avec ses lieux et ses facteurs d’émergence (clubs, salons, sociétés savantes, bourgeoisie montante, etc.),
  • Et celle, parallèle, des formes successives ou combinées de résistance à cette démocratisation (technocratie, dépolitisation par la culture de masse, résistance des élites de la propriété ou du savoir),
  • La mise en place de l’état de droit et de la démocratie parlementaire dans les processus plus ou moins révolutionnaires jouant un rôle de pivot historique en étant d’un côté une conquête et de l’autre un fortin de résistance à la démocratisation.

Dans un troisième texte, de 2006[5], publié en deux fois en 2012 et 2013 en France, HABERMAS écrit :

  • « Soutenir l’hypothèse selon laquelle la délibération politique développe un potentiel de recherche de la vérité »,
  • « Avec deux conditions critiques :
  • Une communication politique médiatisée dans l’espace public qui peut favoriser les processus de légitimation délibérative dans des sociétés complexes à condition premièrement qu’un système des médias autorégulé gagne son indépendance à l’égard de l’environnement social,
  • Et deuxièmement que des publics anonymes garantissent un feed-back entre les discussions d’une élite informée et une société́ civile réactive »

A ce moment de la réflexion, si l’on accepte les arguments,

  • Comment, avec l’avènement des technologies du numérique peut-on garantir la l’information et la formation des citoyens, si ce n’est une formation profonde au doute et à la méthodologie scientifique,
  • Comment peut-on sortir d’un dialogue social verrouillé par des idéologies contre-productives : j’en veux pour preuve les développements du dirigeant de CONTINENTAL, qui prône « la confiance, le respect mutuel, l’écoute, le consensus, le temps long, … », mais il est de culture germanique,
  • Pourquoi nos médias ne réalisent pas des pédagogies pour expliquer les concepts rationnels de danger et de risque, afin d’éclairer les décisions, et se contentent de progresser sur les émotivités et les peurs,
  • Comment peut-on expliquer, ce que font très bien Luc JULIA[6] et quelques autres, que l’intelligence reste humaine, que la décision reste humaine dans les diverses hypothèses proposées par les algorithmes, et pour une raison simple, c’est à la base le respect de la vie qui a toujours guidé l’évolution de la cellule, à l’homme. Mais aussi, gardons en filigrane, que les algorithmes sont issus de la création humaine, avec ses biais.

Il me semble que revenir à des orientations plus réalistes, en intégrant les résultats impressionnant des recherches sur le neuro cognitivisme, sur le fonctionnement du cerveau, pour expliquer nos propres comportements et les corriger dans l’objectif du vivre ensemble. C’est ce que réalisent un certain nombre de médecin, de psychologues, mais malheureusement la santé mentale est le parent pauvre de la médecine.

Enseigner la psychologie, comme l’a fait Jean PIAGET[7], permettrait me semble-t-il de mieux peser rationnellement sur les décisions, et de retrouver cet équilibre émotionnel/rationnel sur lequel nous fonctionnons tous, et qui garantit la bonne santé physique et psychique des individus. Sujet vulgarisé aujourd’hui par bien d’autres, dont par exemple, Jacque FRADIN[8] dans « L’intelligence du stress ».

Et pourquoi pas l’évolution vers un dialogue social, nécessaire à l’organisation de la production des consensus, participatifs, compris, et acceptés dans un objectif commun. L’introduction vers une autre réflexion.

 

Auteur :

Yves GendreauERGONOME conseil, IPRP Certifié, Expert du risque Chimique

[1] Miche ONFRAY, Le crocodile d’Aristote, page 62, Albin Michel, 2019
[2] Jürgen HABERMAS, La souveraineté populaire comme procédure. Un concept normatif d’espace public, CAIRN INFO, 1989
[3] Julius FROBEL; System der socialen Politik, Mannheim, 1847.
[4] Jürgen HABERMAS, « Réflexion sur le concept de participation politique », dans  ARCHIVES DE PHILOSOPHIE,  2019 
[5] Jürgen HABERMAS, « La démocratie a-t-elle encore une dimension épistémique ; recherche empirique et théorie normative », Publié par CAIRN INFO 2012, ET 2013
[6] Luc JULIA, « l’intelligence artificielle n’existe pas », FIRST éditions, 2019
[7] Jean PIAGET (collectif), Psychologie, Galimard, collection La pleiade décembre 1986
[8] Jacques FRADIN, L’intelligence du stress, Eyrolles, 2008

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