La Recherche et Développement sous le déluge

Au niveau mondial, l’Europe occupe la première place en nombre de chercheurs, et notamment dans les grandes économies européennes (Allemagne, France, Suède, Pays-Bas, Espagne et Italie). De son côté, la Suisse est le pays le plus innovant au monde en nombre de brevets (958) déposés par habitant (4 fois plus qu’aux États-Unis), avec une part des dépenses en R&D qui atteint 2,9% (similaire à celle des États-Unis). Malgré l’avantage du nombre, l’Europe n’investit pas autant que ses concurrents américains, et le rythme de ces investissements reste très inférieur aux performances des États-Unis (vu précédemment dans un article NXU) tandis que la Chine comble peu à peu l’écart avec l’Europe. D’après un dernier classement des pays (datant de 2020) suivant des indicateurs R&D, la Chine a dépassé les États-Unis en termes de nombre de publications (https://www.scimagojr.com/countryrank.php?year=2020) ; c’est une première depuis la parution du classement en 1996.

La R&D est le fer de lance de tout produit innovant à succès. Une stratégie de R&D a pour objectif de réussir à innover et c’est aussi une histoire d’investissement dans le futur. La course à la technologie s’intensifie dans le monde, mais l’Europe n’est pas en position de gagner. L’Europe (particulièrement l’Allemagne) investit dans l’industrie (automobile et pharmaceutique) tandis que les États-Unis poussent leur part de R&D dans le secteur des technologies de l’information comme l’IA et les nouveaux matériaux. En réalité, si les indicateurs R&D montrent que l’Europe est toujours dans la course avec des chercheurs de renom et une industrie forte, l’écart dans le domaine de la technologie est énorme et se creuse de plus en plus. Les dépenses en R&D est un indicateur clé reflétant la vision stratégique d’un pays à moyen et long terme. Afin de rester dans la course, l’Europe devrait investir davantage en R&D et valoriser ses chercheurs avec des salaires compétitifs à la hauteur de leurs compétences.

L’Esprit Jugaad

D’une part, l’augmentation des dépenses en R&D est une quasi-nécessité pour que l’Europe espère garder une place dans le podium et rester compétitive face aux américains et chinois. D’autre part, la stratégie budgétaire de la R&D ne peut changer du jour au lendemain, et comme nous l’avons vu, la réduction du budget européen dédié à la R&D est l’un des scénarios les plus probables. D’ici là, en attendant que la cavalerie arrive, les chercheurs européens devraient peut-être apprendre à faire plus avec moins, ainsi adopter l’esprit Jugaad. Ce concept entrepreneurial nous vient des pays émergents (Inde, pays d’Amérique du Sud …). Certes, L’Europe n’a pas à recevoir de leçon en matière d’innovation, mais il faut garder à l’esprit que ces économies émergentes innovent dans des conditions défavorables et hostiles à l’innovation, avec parfois une absence totale des éléments de base pour toute créativité.

Un tel environnement contraignant fait ressurgir des innovations fascinantes afin de répondre à la complexité croissante de notre monde. L’esprit entrepreneurial du jugaad n’est d’autre que l’innovation frugale, flexible et résiliente au plus haut niveau. Navi Radjou illustre bien dans son livre « Innovation Jugaad » cet esprit. Il explique aussi comment les entreprises occidentales peuvent adopter ses principes afin d’innover et de croître dans un environnement hautement volatile et hyper-concurrentiel.

La synergie Recherche Publique et Entreprises Privées

La structure de recherche en Europe est très complexe, avec de grandes différences entre pays en termes de relation « recherche publique » et « entreprise privée ». Si on se penche sur le cas de la France, la recherche publique est jugée d’une grande qualité et les entreprises privées sont compétitives à l’échelle mondiale. De son côté, l’État finance de très nombreux dispositifs (Ex : Crédit Import Recherche ; CIR) et structures incitant les entreprises et les laboratoires publics à coopérer (Ex : Instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle ; 3IA).

Malgré l’excellence académique, et la bonne performance opérationnelle et stratégique des entreprises, ainsi que le rôle actif de l’état, il s’avère que c’est encore insuffisant pour créer une synergie et lever les obstacles à l’innovation entre la recherche publique et le privé. C’est probablement une histoire de perception et de culture. D’un coté, les établissements de recherches ont pour objectif l’excellence académique (publications, découvertes scientifiques …) sans pression de résultats financiers. De l’autre côté, des entreprises qui jouent leur survie dans un environnement hyper-concurrentiel. De ce fait, les objectifs et intérêts divergent, avec des entreprises moins intéressées par les publications et plus enclin à renforcer leur propriété intellectuelle (brevets, logiciels …). Dès lors, la communication devient de plus en plus difficile et les négociations trop longues, que ça soit à cause de la propriété intellectuelle ou le partage et la propriété sur les données. La relation entre la recherche publique et le privé est de nature très complexe.

Ce n’est sans doute pas un hasard si cette problématique persiste encore depuis des décennies, et ce malgré les efforts déployés par les différentes parties prenantes. Néanmoins, il faudrait créer des nouveaux dispositifs qui accélèrent l‘innovation et mettre en place des interfaces possédant un grand pouvoir décisionnel sur les budgets R&D et l’organisation des partenariats public-privé.

Auteur : David Jaidan – membre NXU Think Tank – AI Expert | Entrepreneur | Adding Real-World Insights using AI Tech to Internal Decision-Making Process.

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