Comment produire de la confiance dans l’entreprise et son écosystème ? Les rituels de la confiance en action.

« La porte du changement s’ouvre de l’intérieur »

Jacques CHAIZE

Les leaders de confiance appliquent d’abord à eux-mêmes, de manière exemplaire, les rituels de la confiance en action, qui sont au nombre de trois : le récit partagé, le feedback constructif et le débriefing responsable, avant de les disséminer verticalement et horizontalement dans toute l’entreprise et au-delà, dans les interactions de l’entreprise avec toutes ses parties prenantes.

Ces rituels s’appliquent à toute entreprise, quelle que soit sa taille (de la start-up à la grande entreprise en passant par la PME et l’ETI) et même à toute organisation humaine orientée vers des buts. Ils prennent d’autant plus d’importance et de valeur que l’entreprise utilise de manière intensive les technologies numériques et en particulier les apports de l’intelligence artificielle et se trouve confrontée au besoin de développer l’esprit humain à proportion de cet usage. 

Le récit partagé

La confiance en action est pari sur les « autres » et sur l’avenir. Elle puise donc sa force dans la mission, la raison d’être et l’ambition de l’entreprise. Il revient aux dirigeants de développer un récit partagé, mise en mots et en images (« storytelling ») du récit du devenir de l’entreprise, qui fasse lien dans l’espace entre tous les membres de l’entreprise étendue à son écosystème et dans le temps entre le passé (la mémoire), le présent (les impératifs et défis du moment) et le futur (la vision partagée).

La production de ce récit est elle-même acte de confiance, d’autant plus si elle associe un large cercle de parties prenantes internes et externes. A cet égard, associer les salariés, les clients et les diverses parties prenantes de l’entreprise à la production d’une raison d’être inscrite dans les statuts relève de la confiance en action placée au niveau du sens. Pour que le récit de l’entreprise participe à la dynamique de confiance en action, son contenu et sa forme doivent être conçus à partir du point de vue de l’altérité, c’est-à-dire de deux « autres » à l’entreprise :

  • L’autre dans l’espace : client, collaborateur en tant que salarié, fournisseur, partenaire, investisseur, collectivité
  • L’autre dans le temps : devenir et futur de l’entreprise.

C’est par cette inversion de perspective que l’entreprise se met en tension de confiance.

Avec le développement de l’intelligence artificielle, le récit partagé gagne à traiter des interactions entre les personnes humaines et avec les technologies, et notamment à la dimension éthique de ces relations, la confiance numérique étant désormais une dimension incontournable.

La forme du récit partagé permet de rendre tangible un actif « liquide », hautement expérientiel, à l’instar de la plupart des actifs immatériels[1]. En offrant une vision claire du sens partagé de l’action, la réalisation d’un récit partagé est un atout maître pour les entreprises à mission et notamment celles qui, en France, requièrent la qualité de société à mission prévue par la Loi PACTE.

Le feedback constructif 

Notre expérience de l’introduction du feedback constructif au sein des équipes de direction, ou entre divisions ou départements d’entreprises industrielles ou de services, montre à quel point cette pratique d’essence biologique produit la confiance nécessaire à l’incarnation du récit partagé (vision, mission, raison d’être, ambition, objectifs et engagement), à la qualité et à la réactivité des décisions stratégiques et opérationnelles, au partage des priorités à l’échelle de toute l’organisation, à la prise de risque maîtrisée et à la  réduction des contrôles, à l’agilité et à la réorganisation accélérée des process.

Direct, régulier et respectueux, le feedback constructif a pour but que chaque protagoniste, émetteur ou receveur, comprenne les besoins et désirs de l’autre, mais aussi ses vulnérabilités, pour ajuster ses propres perceptions et adapter ses attitudes et comportements à ces besoins, de manière à l’aider à agir utilement et à créer de la valeur[2].

Le véritable marqueur de la transformation culturelle responsable est la mise en œuvre régulière, par les dirigeants et les managers à tous niveaux, d’un feedback constructif remontant, qui consiste à rechercher le feedback de chacun des membres de leur équipe et à l’accueillir dans des rituels individuels et collectifs Ces leaders de confiance se nourrissent littéralement de l’expression directe des attentes qu’ils satisfont et de celles qu’ils pourraient mieux satisfaire, au service de la performance de leurs collaborateurs et à travers eux, de la performance responsable de l’entreprise. Ils en tirent des plans d’action d’amélioration personnels. En incarnant de manière exemplaire la bioculture responsable, sans hésiter à exposer leurs vulnérabilités, ils ouvrent la voie à une pratique du feedback systématique et transversale par l’ensemble des managers de l’entreprise. Quand le feedback vertical fonctionne à plein régime dans une entreprise, nous observons généralement un développement de l’appétence pour le feedback horizontal, entre pairs et collègues, et pour le feedback latéral, avec les clients et les partenaires.

Grâce à une pratique systématique et systémique du feedback constructif ancrée dans sa bioculture et ses valeurs, les blocages sont éliminés progressivement et durablement dans toutes les strates de l’entreprise, libérant la fluidité et la fécondité de l’esprit humain en son sein et avec son écosystème.

 Le débriefing responsable

« Ce qui n’a pas été débriefé n’a pas existé »

Lieutenant-colonel Tomer Mitzna, Tel-Aviv, 23 octobre 2017[3]

Alors que le feedback constructif est adressé à une personne, le débriefing responsable porte sur une action ou un projet bien identifiés dont il constitue un examen collectif croisé, même si, dans une première phase, il appelle une réflexion individuelle[4].

L’introduction de cette discipline consiste en effet à répondre de manière systématique, à l’issue de chaque action, projet, initiative, prise ou perte de contrat, à la question suivante : « De quoi suis-je personnellement responsable ? », et ceci sans jugement, sur la base de faits précis et en regard des objectifs qui avaient été fixés au départ. Directement inspirée de la pratique de l’Armée de l’Air israélienne, cette discipline a été saluée par le magazine Forbes[5].

Parmi de nombreux enseignements, l’exemple de l’Armée de l’Air israélienne montre la valeur des disciplines humaines de la confiance en action (récit partagé, feedback constructif et débriefing responsables) pour nourrir l’esprit humain et tirer le meilleur parti dans l’action des récits, feedbacks et débriefings automatisés fournis par les machines intelligentes de grande puissance que sont les appareils militaires des dernières générations. 

Par l’éthique qu’elle instaure, la pratique de ces disciplines sert la marque employeur et attire les collaborateurs des dernières générations accoutumés aux interactions digitales, familiers des technologies numériques et gourmands des apports de l’intelligence artificielle, qui sont particulièrement demandeurs de projets authentiques et de relations franches et directes dans le monde physique et sensible. Elle aide à retenir les talents désireux d’apprendre et d’agir efficacement face aux nouveaux défis. Elle permet aux dirigeants, aux managers et aux collaborateurs de comprendre le sens vital du feedback et d’utiliser à bon escient les solutions numériques qui apparaissent sur le marché. Enfin, elle renforce l’attractivité de l’organisation, car elle est un gage de la qualité de vie au travail et un facteur de performance organisationnelle apprécié des investisseurs.

Pratiquer la confiance en action, un pari indispensable à l’innovation et à la création de valeur par l’esprit humain

 

Elevées au rang de disciplines par des dirigeants leaders de confiance et profondément ancrées dans les mœurs de l’entreprise, les disciplines de la confiance en action travaillent en profondeur la culture de l’entreprise. On peut alors véritablement parler de transformation bioculturelle et pas de simple conduite du changement. De fait, ces disciplines ouvrent aux entreprises le chemin de la régénération permanente[6] et leur permettent, par effet de redondance, de rejoindre le cercle des entreprises qui associent innovation et longévité[7], échappant ainsi au trop fameux cycle « croissance, développement, maturité, déclin ».

A titre d’exemple, l’expansion de Google à son origine est largement due aux boucles infinies de feedback que cette entreprise a mises en place avec des développeurs « bénévoles », trop heureux de voir leurs propositions mises en œuvre par la firme, à l’opposé des pratiques existantes de l’époque.

A l’instar de cet exemple célèbre, notre expérience d’entreprises et d’organisations de toutes tailles et tous secteurs (entreprises privées, industrielles et de services, banques mutualistes, assurance mutuelles, coopératives, associations) dans plus de vingt pays nous a permis de constater que la bioculture de totale confiance et son incarnation dans les rituels de la confiance en action favorisent la mise en œuvre des coopérations multi-acteurs que réclament la multiplication exponentielle des interactions et l’accélération technologique sans précédent qui caractérisent la métamorphose en cours.

En cybernétique, en balistique, en intelligence artificielle comme en biologie, le feedback et l’apprentissage continu (« continuous learning ») jouent un rôle déterminant dans l’atteinte des objectifs stratégiques vitaux et sont de ce fait largement automatisés. En y ajoutant l’énergie du désir, l’esprit humain apporte avec la confiance en action dont il est seul capable la puissance incomparable du pari sur l’autre et sur l’avenir.

 

Auteurs : Christian Mayeur – Faculty associate à IAE AIX Graduate School of Management, Entrepreneur, conseil de dirigeants, conférencier et coach certifié – partenaire pour la France de SAY=DO Technologies.

Avec la contribution de Marc ZarroukConsultant, formateur international et coach, co-fondateur de SAY=DO Technologies, fils du Docteur Claude ZARROUK, professeur à HEC / CRC, dont il perpétue l’héritage depuis Israël.

 

[1] Cette caractéristique des actifs immatériels a fort justement été rappelée par Jérôme JULIA, président de l’Observatoire de l’Immatériel, en ouverture de la 10ème Journée Nationale des Actifs Immatériels, qui s’est tenue le 30 novembre 2021 à l’Institut National de la Propriété Industrielle.
[2] Mais en aucun cas à juger les personnes. L’usage des résultats du feedback pour l’évaluation annuelle de la performance n’est qu’un bénéfice secondaire de cette pratique qui sert avant tout l’action efficiente.
[3] Propos extrait du témoignage du Lieutenant-Colonel Tomer Mitzna à l’occasion d’une expédition de dirigeants français à la rencontre des entreprises et organisations israéliennes les plus performantes.
[4] La pratique du débriefing responsable est bien sûr tout à fait possible en tant que pratique individuelle, en regard d’une action ou d’un projet donné. Mais c’est seulement en tant qu’expérience collective et périodique que le débriefing responsable constitue un levier de transformation vers la bioculture de confiance en action à l’échelle de l’entreprise.
[5] Inbal ARIELI, « How Debriefing Like The Israeli Air Force Can Help Your Business », Forbes Magazine, March 17, 2018 – https://www.forbes.com/sites/startupnationcentral/2018/03/17/how-debriefing-like-the-israeli-air-force-can-help-your-business/?sh=3ae0e41532e0
[6] La persévérance dans la confiance en action s’inscrit totalement dans le « Grit », cet art de la niaque décrit par Angela DUCKWORTH dans un de ses best-sellers – Angela DUCKWORTH : « L’Art de la niaque – Comment la passion et de la persévérance forgent les destins et comment la cultiver ? », Editions JC Lattès, 2017.
[7] Source : étude de la Banque Européenne d’Investissement / EIB Working Papers 2018/07 – « Young SMEs: Driving Innovation in Europe », citée par Marc GIGET et Véronique HILLEN dans leur étude « Pérennité, innovation et résilience des entreprises », publiée en mai 2021.

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