« J’avance masqué » — ou une “désobéissance” civile partagée

Si je sors, j’avance masqué.

Le gouvernement, lui aussi, avance masqué, depuis le début de la gestion de crise : il a masqué la pénurie des masques, leur utilité au nom de la science dont, par ailleurs, il rappelle les incertitudes pour mieux justifier tantôt son inaction tantôt sa décision. Cette instrumentalisation est d’autant plus suspecte que la transparence est le mot d’ordre.

L’usage du masque aura successivement été déclaré inutile, utile aux seuls soignants, pas inutile mais conseillé puis obligatoire pour la population, seulement dans les transports en commun. Pourtant s’il arpente les rues de la capitale et des villes de France, le gouvernement verra que la population porte un masque chirurgical, parfois de fabrication artisanale — la société civile n’ayant pas attendu l’Etat pour s’armer contre ce que ce dernier avait lui-même présenté comme une guerre. Une sorte de désobéissance civile partagée. Quand dire pour le gouvernement, c’est faire autrement pour la société. Les médias et les politiques s’alarment depuis longtemps de la crise de confiance entre les peuples et les élites politiques. En voilà une illustration pratique.

Le gouvernement a raisonné finalement selon une forme d’individualisme méthodologique propre au libéralisme, comme si la politique de sécurité sanitaire ne devait pas reposer sur une maxime civique de protection indirecte mais réciproque : protection de tous par chacun, de chacun par tous. Il a fait de la politique en ignorant la vertu politique de prudence, qui permet de décider et de protéger en situation d’incertitude objective. Quand même il serait scientifiquement prouvé que le masque n’empêche pas l’individu d’être infecté, son port devrait être encore recommandé pour éviter qu’il n’infecte les autres. Ce principe « altruiste » a été rappelé par l’Académie Nationale de médecine (22 avril 2020).

Invétéré village gaulois dans la pandémie mondiale, l’Etat français a semblé ignorer qu’il était le seul à ne pas recommander le port du masque. Comme si la science était hexagonale et qu’on pouvait se dispenser de regarder ailleurs. Pourquoi cet aveuglement ? Peut-être par conviction si, comme on commence à en reconstituer le fil (cf. Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Le Monde, 5-9 mai), dans la décennie écoulée, l’Etat a changé de doctrine.

Mais, les faits sont têtus, malgré les éléments de langage. Et plus personne n’est dupe. La réalité est qu’on manquait de masque, tout est là ; on avait même commencé à en détruire plus d’un million, supposés périmés, en pleine épidémie. La communication joue ici le plus mauvais rôle. A quoi bon promulguer une loi contre la manipulation de l’information (22 décembre 2018) si c’est pour présenter l’inutilité du masque comme un fait alternatif ?

On commence à percevoir l’implication de l’IA dans la crise pandémique, et il faudra rapidement y réfléchir plus précisément et plus systématiquement. Dans cet ordre d’idées, on dispose d’une étude toute récente, internationale il faut le souligner, basée sur des modèles d’IA, qui a mesuré l’impact du port du masque sur la réduction de la propagation du Covid-19. Selon le type de modèle retenu, le masque se révélerait plus efficace que le confinement, si 80 % de la population en portait. Et il pourrait faire disparaître le virus et éviter une deuxième vague tant redoutée sanitairement et économiquement, s’il était adopté par 4 personnes sur 5 avant le déconfinement. Cette étude demande évidemment à être vérifiée, croisée avec d’autres données et d’autres approches. La prudence s’impose aussi dans ce domaine.

En attendant, si je pense j’ôte le masque, si je sors, j’avance masqué.

Laurent Cournarie, Président de la Commission Philosophie NXU Think Tank et Professeur de chaire supérieure 1ère Supérieure Philosophie
https://laurentcournarie.com/

Larvatus prodeo : formule-devise du jeune Descartes ; Opportunément signalée par Emmanuel Bertrand aux membres de la commission Philosophie de NXU Think Tank qu’on remercie ici.