L’innovation technologique a ses mérites, mais elle a aussi une capacité à développer le pire.

Sommes-nous en train d’assister justement au pire virus imaginable crée par l’homme, celui dont l’incubation n’affiche la couleur qu’une fois les ravages perpétrés ?

Le journal américain The Wall Street Journal révélait[1] récemment l’impact délétère d’Instagram, en particulier sur les adolescentes. Dans l’économie de l’attention, les réseaux sociaux se mènent une guerre sans relâche pour conquérir et conserver l’attention. Conséquences, un temps consacré à l’écran dépassant l’entendement, une image de soi en décalage avec la réalité, une diminution de l’activité physique et les pathologies qui s’ensuivent, une réduction de la capacité de concentration.

Nous pouvons nous poser la question : Nos adolescents sont-ils les grenouilles que nous chauffons à petit feu ?

Alors que la Chine vient de lancer des initiatives drastiques[2], de notre côté le bizutage[3] des jeunes nés en 2010 tourne en boucle. Est-ce les commettre à une mort cérébrale et sociale que de permettre une telle addiction ?

Interdire peut sembler extrême. Etant plutôt de confession libérale – au sens où l’initiative économique et sociale reste du ressort du citoyen –  j’aime à penser que certains environnements se régulent d’eux-mêmes. Cette idée d’ingérence outrancière me rebuterait donc quelque peu.

Ceci étant dit, cet état d’esprit repose en grande partie sur la croyance non dite que la main invisible d’Adam Smith organise les écosystèmes par enchantement. S’il est vrai que dans certaines situation de concurrence dynamique un équilibre peut être trouvé, dans d’autres cas l’esprit jeune et malléable de l’adolescent ne fait pas le poids devant les couleurs alléchantes et trompeuses, les algorithmes discrets et efficaces, où les armées de data-scientists affairés à trouver le meilleur Call-to-action.

Des action plus timorées[4] voient certes le jour, mais est-ce suffisant ? Pourrions-nous voir, telle des licornes providentielles, des réseaux sociaux alternatifs refusant l’accès au-delà d’un certain temps, n’acceptant que les photos brutes de fonderies ou les posts ne mettant que l’autre en valeur ?

L’innovation nous sauve, mais dans sa fraicheur candide et imprévisible. Saurait-elle nous trouver une solution miracle, si tant est que cette posture de Cassandre ne détienne quelque vérité ? La technologie peut-elle être un remède à la technologie ?

Quels seront les effets à vingt ans des réseaux sociaux ?

Car nous n’avons pour ainsi dire que peu de recul. Quels risques pour la santé, physique et mentale ? Le cadre juridique permettrait-il une action aussi radicale ? La transhumance du Je pense donc je Suis au Je Like donc je Suis est-elle en cours ? Quelles répercussions pour l’économie ? Sommes-nous à un point de non-retour – too big to fail – trop gros pour échouer ?

Dans le film inspiré du roman de science-fiction d’Ernest Cline, Ready Player One, où la terre entière est cannibalisée par son alter ego virtuel, l’épilogue s’en remet à une proposition somme toute moins fantaisiste que l’on pourrait le croire : fermer les voies virtuelles deux jours par semaine. Comme quoi la réalité peut s’inspirer de l’imaginaire.

Ready Surfer One ?

Philippe Cartau – Vice-président NXU Think Tank.

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[1] http://www.wsj.com/articles/facebook-knows-instagram-is-toxic-for-teen-girls-company-documents-show-11631620739

[2] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210831-en-chine-les-jeux-en-ligne-limités-à-trois-heures-par-semaine-pour-les-mineurs

[3] https://www.francetvinfo.fr/societe/education/harcelement-a-l-ecole/enfance-et-adolescence-les-eleves-de-l-annee-2010-victimes-de-harcelement_4774651.html

[4] https://www.rsph.org.uk/our-work/campaigns/status-of-mind.html