La peur de l’IA : Justifiée ou distrayante ?

Dans une société au développement technologique exponentiel, à l’ère où l’on nous parle de l’introduction des robots dans les établissements de santé mais également dans l’ensemble des corps de métiers, nombreux sont les citoyens à s’inquiéter du risque de déshumanisation et de réduction des relations sociales, alors même qu’un grand nombre de personnes souffrent déjà de solitude. Face à ces technologies de plus en plus performantes, la crainte d’être dépassé par celles-ci est fréquente : et si nous étions en train de créer une société dans laquelle l’homme n’aurait plus d’utilité ?

C’est en tant que néophyte que je me suis intéressée à cette question. Les différents articles que j’ai pu consulter soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses : Près de la moitié des emplois (47%) sont-ils réellement appelés à disparaître d’ici 20 ans comme le prédisaient Frey et Osborne en 2013 ? Le développement de l’intelligence artificielle (IA) va-t-il permettre la création de millions d’emplois permettant de compenser ceux supprimés par l’automatisation croissante, la généralisation des robots et le développement de l’IA ? Comment ne pas appréhender l’envahissement des technologies dans les différentes sphères de notre vie quotidienne (santé, loisirs, travail…), face à la vision de ce que pourrait devenir le monde « sous contrôle » de l’IA dépeinte dans certains films et séries (Her, EVA, série Black mirror…) ? L’observation du monde du travail conforte dans l’idée que des emplois disparaissent, cette disparition conduisant parfois à une réduction de la qualité du produit et n’étant pas compensée par la création d’emplois nécessaires à l’utilisation, à l’entretien des machines, à la programmation… Parmi les métiers appelés à disparaître, une étude de l’institut Sapiens (2018) en identifie cinq très fortement menacés : manutentionnaires, secrétaires de bureautique et de direction, employés de comptabilité, employés de banque et de l’assurance, et caissiers et employés de libre-service.

Sans que la disparition massive d’emplois ne soit remise en question, cette numérisation de l’emploi pourrait également être considérée comme une opportunité de libérer l’humain des tâches pénibles, dangereuses et fatigantes, réduisant ainsi la pénibilité au travail ainsi que les risques d’accidents, mais également de désautomatiser le travail humain et de valoriser les compétences humaines telles que la créativité, la dextérité manuelle et la capacité de résolution de problèmes, non automatisables (Villani et al., 2018). Cette valorisation ne surviendra cependant pas d’elle-même, elle nécessite d’être accompagnée. Ainsi, la suppression de nombreux métiers ne conduira pas nécessairement à l’absence d’activité pour l’humain mais à la nécessité de changer de métier. De plus, d’autres bénéfices de l’IA dans la santé ou l’éducation par exemple ne sont pas à négliger. Ainsi, elle pourrait favoriser la détection précoce de pathologies, contribuer à la disparition des déserts médicaux… (Villani et al., 2018).

La connaissance actuelle des métiers et des technologies existants peut permettre une certaine anticipation des catégories de métiers susceptibles de disparaître, il est plus difficile d’anticiper l’évolution et la création d’emplois et d’activités. Par ailleurs, certaines tâches telles que celles liées à la perception, requérant une intelligence sociale incluant une forte dimension affective ou liées à l’intelligence créative paraissent aujourd’hui compliquées à reproduire par des robots (Frey & Osborne, 2013) mais nous ne pouvons prévoir ce qu’il en sera dans 10, 20 ou 30 ans.

Il ne s’agit pas de prétendre que la fabrication et l’entretien des machines ou programmes pourraient créer autant d’emplois qu’ils n’en suppriment – ce qui ne serait pas rentable – mais que les ressources dégagées par cette augmentation de productivité (baisse des prix) se ré-investissent ailleurs. Si l’on considère que les robots prennent progressivement notre place, la question qui se pose est celle d’un chômage perpétuel et d’un revenu minimum d’existence, l’angle d’analyse est différent si l’on s’intéresse à ce que le numérique change dans le travail et des nécessités de reconversions.

Dans ce contexte, il paraît indispensable à la fois de former l’ensemble des citoyens afin de leur permettre de développer une meilleure connaissance et distinction de l’automatisation, la robotisation et l’IA, et de les associer au développement technologique afin de favoriser la création d’outils pertinents, l’appropriation de ces derniers mais également de mieux percevoir le degré d’autonomie de la machine afin de réduire, d’enrayer les fantasmes d’une toute puissance de la machine. Une telle approche contribuerait au développement de robots collaborateurs et non concurrents de l’humain. Il convient également de repenser la formation professionnelle, initiale et continue, afin de développer dès à présent les compétences utiles dans le monde numérique de demain, les emplois émergents requérant pour la plupart un niveau d’études et de qualifications plus important, et de permettre une adaptation efficace aux évolutions à venir.

Lisa Quillion-Dupré, Docteure en sciences cognitives – Directrice Scientifique COVIRTUA Healthcare

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