De l’Homme augmenté à l’Homme remplacé ?

Réflexions sur les impacts de l’IA sur le monde du travail
Partie 2

« La banque de demain sera-t-elle sans humains ? »

Quelle sera la banque du futur ?

Des solutions digitales sont proposées par des startups appelées « Fintechs » mais les tentatives de nouveaux entrants sur le secteur bancaire sont aujourd’hui plutôt limitées. Les banques ont su jusqu’à présent anticiper les tendances ou racheter les nouveaux concurrents pour intégrer leurs offres. Il est difficile de voir comment un nouvel entrant pourrait prendre des parts de marché importantes. Le poids de la réglementation semble restreindre les « fintechs » à des solutions partielles aux besoins bancaires. Le secteur a déjà été en pointe sur l’informatisation et est en avance sur ces sujets. Il semble donc peu probable qu’un grand distributeur comme Amazon propose une offre bancaire complète. Mais, il est possible que ces sociétés essaient de proposer des services en lien avec leur activité (crédit à la consommation, moyens de paiement…) et pèsent sur le développement du secteur.

Pour la clientèle professionnelle, des outils pour faciliter la gestion financière et comptable des professionnels sont proposés par quelques « fintechs » comme Intuit. La facturation électronique obligatoire va certainement donner lieu à de nouvelles offres.  Il pourrait également s’agir de développer des services d’accompagnement à la stratégie de croissance de l’entreprise. Les banques en ligne entièrement dédiée à cette clientèle sont quasiment inexistantes, mais les nouveaux entrants commencent à proposer des offres de base et ils devraient rapidement élargir leurs services (N26, Qonto…). Les entreprises peuvent également utiliser les services de nouvelles sociétés pour sécuriser leurs paiements internationaux (Ibanshare, transferwise).

La banque et l’assurance produisent énormément de données, depuis toujours. Le nombre de données structurées et non structurées à maîtriser s’accroît. Grâce à l’amélioration de la connaissance client et la collecte des informations et des comportements des clients, votre banque pourra proposer des produits ciblés à souscrire en ligne. Ainsi que cela existe chez Amazon, il y aura des outils de développement du PNB avec l’analyse prédictive du comportement client. Un algorithme de recommandations d’actions commerciales pour les forces de vente en continu plutôt que le fonctionnement par campagne améliorerait la qualité du service bancaire.

Mais elles n’ont plus besoin d’avoir des agences en si grand nombre et autant de conseillers pour gérer les demandes des clients. La productivité va fortement augmenter et à moins d’un développement aussi important de leur PNB, les effectifs du secteur devraient continuer à diminuer. Par exemple, la dernière étude de l’observatoire des métiers de la banque prévoit que 20% des effectifs du secteur vont voir leur métier disparaître et 50% vont le voir profondément évoluer.

D’après les chiffres de l’observatoire national de la banque, les effectifs dans le secteur financier baissent depuis 2007 (de 434K à 414K) et la tendance est forte sur les chargés d’accueil et les back-office (-15%)[1]. Les banques françaises ou étrangères installées dans l’Hexagone employaient 366.200 personnes fin 2017[2], en baisse de 1,2% sur une année, contre -0,3% en 2016 et -0,6% en 2015.

Environ 60% des effectifs sont des métiers commerciaux. Par exemple, il y a environ 70.000 chargés de clientèle particuliers en France. Les chargés de clientèle devront développer de nouvelles compétences pour être complémentaire de l’IA, mais quel sera leur nombre dans le futur ? Vont-ils disparaître et être remplacés par des spécialistes de la relation client omnicanal[3] ?

Il devrait y avoir plus de conseillers « experts » pour les opérations importantes (immobilier, placements, entreprises) que l’on ne rencontre qu’à des occasions spécifiques.

Les banques vont créer des postes d’informaticiens dans les fonctions supports (avec une double compétence : data scientist/marketing) et la cybersécurité, mais également supprimer des fonctions supports (montage crédits, svp, accueil téléphonique, services titres…).

Les autres métiers bancaires devraient connaître une évolution des tâches et des compétences (donc des besoins de formations et de meilleures qualifications), avec des fonctions et des compétences plus transversales.

 

Des défis importants

Les banques et leur management se trouvent donc face à 3 contraintes :

–                Nécessité d’accompagner les évolutions rapides et d’ampleur auprès des collaborateurs notamment en formant aux nouveaux outils. Ce premier point est d’autant plus complexe que ces formations sont orientées vers les « soft skills » au contraire des orientations et formations fournies depuis 30 ans

–                Une remise en cause des modèles par l’arrivée de compétiteurs plus agiles qui attaquent les points faibles des banques actuelles en particulier l’agilité. La plupart des établissements sont donc dans la nécessité de préparer des plans de restructuration qui viennent en contradiction avec la première contrainte

–                Savoir générer une offre de valeur au client et remettre en cause la relation client enfermée dans un modèle statique depuis 30 ans. Là aussi, la contrainte obéit à des règles et mode de pensée et des ressorts différents des deux premières contraintes

La gestion de ces trois contraintes font annoncer à certains un effondrement des réseaux de détail bancaires au profit des « Fintechs ».

L’organisation humaine des banques a peu évoluée depuis l’avènement de cette industrie au XIXe siècle. Elle reste très pyramidale avec néanmoins une relation proche employeur – employé. L’approche commerciale a également peu évolué et le client est rarement au centre de la stratégie.

 

Comment préserver le capital humain ?

Avec un budget de formation d’en moyenne 4,4% de la masse salariale[4], les établissements bancaires sont déjà organisés pour accompagner leurs salariés et développer leurs compétences tout au long de leur carrière. Elles vont néanmoins avoir besoin de repenser l’évolution professionnelle de leurs employés. Elles devront développer les compétences relationnelles, revoir les compétences clés des directeurs d’agence qui seront plus des animateurs d’équipes et concentreront moins de prérogatives.

Les banques devront continuer à former leurs salariés sur la réglementation bancaire et les produits. Dans ce cadre, des formations en ligne seront de plus en plus utilisées. Les compétences techniques pourraient devenir moins importantes, car les outils à base d’IA permettront de répondre précisément à ce besoin. Des outils de formation permettant de personnaliser les parcours seront sûrement développés. D’autre part des formations pour acquérir des compétences plus transversales devraient être mises en place. L’IA n’est pas dotée d’intuition, d’empathie et sera toujours moins chaleureuse qu’une relation humaine. Les soft skills, c’est-à-dire l’intelligence émotionnelle, la capacité à communiquer, à écouter, à s’adapter à des situations différentes feront la différence par rapport à l’IA. Les salariés actuels devront être accompagnés pour apprendre à travailler avec l’IA afin qu’ils puissent évoluer au même rythme que la technologie.

La banque de demain emploiera moins d’humains

En conclusion, la situation des banques et le séisme auquel elles sont confrontées avec l’arrivée de l’IA est sans nul doute le plus important depuis leur avènement. L’ampleur des modifications qu’elles doivent digérer en interne modifie leur rapport à leur client, le rapport à leurs employés et leur rapport aux actionnaires. L’effet conjugué de ces contraintes nécessite un ajustement complet du business model.

Les impacts de la digitalisation dans le secteur bancaire seront importants car les banques sont exposées à un environnement qui nécessite des gains de productivité (baisse des marges, changement de comportement des clients…). Les effectifs vont avoir une tendance à diminuer mais le secteur restera un employeur important.

La tendance à recruter des profils très qualifiés au détriment de profils moins qualifiés devrait se poursuivre. La proportion de cadres va continuer à augmenter et les tâches les moins intéressantes seront prises en charge par des outils à base d’IA.

Un nouvel acteur émergera-t-il et transformera-t-il le secteur comme l’ont fait les GAFA dans la communication ou le commerce ? Ce qui semble impossible aujourd’hui ne le sera peut-être pas demain !

Aymeric Even, Gérant de portefeuilles chez CMCIC Gestion, Président de la Commission Economie

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[1]https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0600510587252-tempete-historique-sur-les-metiers-de-la-banque-2237949.php

[2]d’après l’estimation de la Fédération bancaire française (FBF)

[3]Rapport HTS Consulting-Observatoire des métiers de la banque décembre 2018

[4]AFB 2016