Sommes-nous fondamentalement libres ? Dans quelle mesure l’homme peut-il l’être ?
Avons-nous des ailes ? Le pouvoir de voler ? Non. Cette liberté ne nous est pas donnée.
Notre déterminisme nous contraint. Nous naissons avec un capital génétique. On le résume dans un mot : l’inné. Notre génome est en quelque sorte un codage d’où on ne peut s’échapper… à priori… Je mesure un mètre soixante-dix, je ne suis donc pas libre de voir au-dessus de la foule comme mon voisin qui mesure deux mètres. Je n’y peux rien. Tout être humain n’est pas libre d’être ou agir autrement qu’à l’intérieur de ce que la nature lui a donné. Il n’a aucune connaissance et possibilité d’action sur la cause première ayant conditionné son existence. Quoique…
Les transhumains se révoltent et veulent modifier le génome humain, le coupler avec de l’électronique et de l’intelligence artificielle pour augmenter l’homme. Accroitre sa liberté intrinsèque. Ils veulent aussi télécharger la conscience humaine dans du matériel informatique nous permettant de voyager à la vitesse de la lumière. Nous deviendrions ainsi une entité virtuelle. La nature de notre liberté changerait, certes, mais serait aussi limitée car ne pouvant plus accéder au monde physique.
Il y a là comme une sorte de contrainte originelle dans la cause première. Modifions cette cause et elle s’échappe à notre domination et même toute prévisibilité. Tant que l’on ne comprend pas le fondement de la cause première, nous serons originellement contraints. Donc ayant une liberté limitée à cette condition.
Nous pensons être libres de nos décisions. Est-ce vraiment sûr ? Et dans quelles conditions ? Puisque notre génome a fait de nous ce que nous sommes. Grands, petits, intelligents ou moins intelligents, expansifs, introvertis, réactifs ou non. Un ensemble de critères intervenant sur nos choix, décisions ou action. Pourtant, il nous semble avoir la possibilité de choisir, de décider librement de nos actes. Qu’en est-il réellement ?
A l’intérieur de ce que la nature nous a donné, qu’est-il possible de faire ? Y-a-t-il un déterminisme qui nous donne une illusion de liberté ?
L’acquis nous façonne lui aussi. La culture, l’éducation, l’expérience sont autant de facteurs déterminants et orientant nos choix. Or l’acquis modifie notre biologie. A certains égards notre nature. Le vivant interagit avec son environnement et se comporte différemment en fonction de celui-ci. Notre cerveau par exemple se développe différemment en fonction de nos expériences et de ce qui imprime notre mémoire ou modifie notre intelligence.
Il est donc difficile d’être libre en étant enfermés entre tous ces déterminismes.
Ainsi, enfermés dans un déterminisme lié à la nature, nous n’en avons pas les clés… raison pour laquelle le transhumanisme, considérant la nature imparfaite, décide de la modifier en en déplaçant les frontières. Jamais dans l’histoire de l’humanité il n’a été possible de modifier le génome. Maintenant oui… enfin depuis peu. Mais grâce à l’accélération de la puissance technologique, ça va évoluer de façon vertigineuse. S’agit-il d’une possibilité de modification de la cause première ? Même pas. On le fait sans en comprendre les fondements. Ou cela nous conduira-t-il ? On ne sait pas. Il y a bien là un problème éthique traité par ailleurs.
Revenons à la liberté : l’homme tente donc d’étendre son champ d’action sur la cause première, ce qui ne lui était pas accessible avant.
Dans une certaine limite nous pouvons modifier notre nature. Nos gènes s’activent, se désactivent. L’épigénétique montre des changements dans l’activité des gènes. Laissons les spécialistes évoquer ces sujets. Or, ceci montre que notre parcours de vie influence l’activité de nos gènes et leur expression. Un peu comme si, libre ou non, l’évolution de nos habitudes, de notre environnement, de nos choix, modifie le comportement de cette cause première. Est-ce une certaine forme de liberté? Lorsqu’on développe des capacités nouvelles physiques on modifie son corps. Les activités intellectuelles, la méditation par exemple, provoquent le développement de neurones et synapses dans notre cerneau.
Nous démarrons grâce à l’inné pour lequel la vie nous a façonné. Puis vient l’acquis… Dans notre enfance l’éducation a créé d’autres déterminismes. Que l’on remet en cause « à certains égard » au moment de l’adolescence et après ; une liberté qui va créer ainsi de nouveaux déterminismes (changements, modifications de nos habitudes, nouvelles orientations et parcours de vie etc.). Aristote évoquait quelque chose comme ça : nouveaux déterminismes au début, remise en cause de ceux-ci puisque nous décidons de choisir, puis stabilisation de ces déterminismes. On le sait, en vieillissant, on n’a plus trop envie de remettre nos habitudes en cause. Consciemment ou inconsciemment. Peut-être même surtout inconsciemment.
A fond pourquoi l’humain dispose de telles facultés notamment au niveau de l’acquis ?
Comparons avec les animaux :
Nous sommes envahis par des pulsions, pensées que nous ne maitrisons pas. Un animal ayant une impulsion la traduit immédiatement en acte. Sa nature le pousse à …. Et il agit. Or il nous semble que l’animal est libre. L’humain dispose d’au moins une étape supplémentaire entre impulsion et action. Derrière le « au moins » il y a de multiples philosophies qui se sont développées au fil des époques et des grands philosophes. Mais quelle que soit l’analyse que l’on en fait, l’humain dispose d’une capacité d’analyse et de choix. C’est cette étape supplémentaire que n’a pas l’animal ! L’acquis chez l’animal développe de nouveaux automatismes (dressage).
Ainsi, l’humain fait appel à la raison, au raisonnement, à la délibération, bref au logos. Mais cette liberté ne peut intervenir que s’il y a un choix : « j’aimerais bien voler, mais pour le coup je n’ai pas le choix ». Parfois, choisir c’est vouloir. La volonté est puissance. Force de liberté, d’émancipation. Mais elle ne peut se concevoir que dans le possible. Il m’est arrivé de dire « je ne savais pas que c’était impossible, donc je l’ai fait ». La phrase n’est pas de moi. Elle est souvent bêtement utilisée en management. Mais c’est une erreur. On devrait plutôt dire ; « je ne savais pas que c’est possible, donc je ne l’ai pas fait ». Pire : « je suis un gros fainéant, je n’ai pas voulu me remettre en cause, prendre des risques, dépenser de l’énergie, bref, me remuer le c… pour y arriver. Mais j’étais libre de le faire parce que j’avais le choix ! ». Et de ce choix ressort l’action. Une suite d’actions produit la destinée…
Je résume : l’humain reçoit une impulsion, il peut s’en suivre une réflexion, une délibération interne faisant appel à la raison (logos), ceci lui permet de faire des choix, et d’agir. La somme des actions conduit à sa destinée.
Une boucle permanente entre déterminisme (inné et acquis) et une forme de liberté réflexive… Peut-on vraiment le dire ainsi ?
« L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». Est-ce bien vrai ?
Cette phrase de Jean Jacques Rousseau pourrait se prendre à l’envers. L’homme est dans les fers du fait de son déterminisme, de la nécessité. Et partout il doit trouver des possibles pour avoir un peu de liberté….
Aristote évoque le fait que la nature donne des potentiels pouvant aller dans de multiples directions… un futur ouvert entre plusieurs possibles.
Nous avons des habitudes issues de l’inné ou de l’acquis que nous pouvons réorienter, grâce au logos, à la raison. Nous remettons en cause notre chaine causale et provoquons une nouvelle causalité ; provoquant ainsi une bifurcation dans notre comportement et notre destinée.
Locke disait qu’il ne suffisait pas de se croire libre pour être libre… remettant ainsi en cause la phrase de Rousseau, et confirmant les propos ci avant. Car il faut de la volonté pour modifier notre chaine causale. Le logos peut envisager des possibles, mais sans volonté, on reste enfermés dans notre déterminisme. Il y a un rapport étroit entre volonté et liberté. Et la volonté conduit au courage, à l’effort et à l’action. La liberté se gagne !
Pour Sartres, « nous sommes » en fonction de nos actions ; On agit, donc on est. L’existence précède l’essence. Il faut avoir une conscience intentionnelle. On est le passé et en même temps notre projection. Il faut inventer son état futur pour sortir de son présent. Nous ne sommes pas juste poussés par le passé.
En me rapprochant de Sartre je pourrais résumer les choses ainsi :
- Nous prenons progressivement conscience de notre état ou de notre situation. Donc de nos déterminismes innés ou acquis. Mais soyons clair cette conscience me parait assez limitée. Sinon, la psychanalyse ne se serait pas développée !
- Alors nous devenons proactifs pour s’émanciper. Nous utilisons notre « logos » pour développer des choix et voir s’il y a d’autres possibles. Nous tentons de développer notre libre arbitre.
- Mais cette volonté d’émancipation passe par celle de s’arracher de son déterminisme ; de « changer les choses ». De changer nos habitudes pour changer notre destinée.
- C’est l’action qui, en conséquence, mettra en œuvre cette volonté, parfois au prix d’une énergie considérable, voir un combat contre soit. En modifiant nos habitudes, nous avons enfin réussi à prendre un peu de liberté pour orienter notre vie et provoquer le changement.
- Après un certain temps (qui peut être long, et se chiffrer en années) nous prenons conscience de la modification induite par nos choix. Mais aussi de l’effort produit. La conscience de ce phénomène devient une révélation car nous mesurons la différence entre ce que l’on était et ce que l’on est devenu.
- Parfois il nous parait absurde, voire douloureux d’observer la situation passée. Avec des questions comme : comment ai-je pu être comme ça ? Ou subir une telle situation ? Ou avoir été trahi ainsi… par moi-même ou les autres…
Auteur :
Luc Marta de Andrade – Président de U-Need Consulting et Président de NXU Think Tank
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