Ça y est ! Je viens d’être vaccinée.
Nous sommes en novembre 2021, je fais partie des derniers mais me voilà vaccinée. Cette vague Covid semble derrière moi, dépassée, un peu comme si cela n’avait pas existé ou presque…
Alors que s’est-il passé ? Et quels sont les impacts aujourd’hui, après cette sidération (qu’est-ce qui nous arrive ? C’est quoi ce virus ?), et une forme d’adaptation permanente : confinement, télétravail, courses aux drive, attestation de sortie… Bref, une forme de vie parallèle durant plus d’un an !
La vie était là, presque comme avant, presque, car elle imposait de nombreux changements de repères.
En 2020, on continuait à être parents, mais en étant aussi professeurs à la maison, travailleurs en télétravail permanent pour les plus chanceux, en chômage partiel pour d’autres…Etudiants avec un suivi de cours à distance, soignants avec l’appréhension d’aller travailler et de se confronter au virus avec la nécessité d’inscrire notre action dans l’assistance sanitaire. On continuait à appartenir à une famille que l’on voyait via Skype, on avait des vacances mais sans pouvoir se projeter ni se déplacer. On voyait la précarité et l’isolement avancer pour certains, sans vraiment pouvoir agir.
On continuait à être un adolescent, un étudiant, un jeune en 2020 mais avec une insouciance et une légèreté plombée par le manque d’oxygène habituellement favorisé par les rencontres, les échanges et les sorties. On continuait à être un commerçant, un industriel, un restaurateur, un artiste, un organisateur d’évènements, un sportif avec la passion du métier au fond du cœur mais ne pouvant pas la réaliser, ou en pointillés.
On voyait aussi des proches être malade ou pire, disparaître prématurément.
La vie se passait avec plus ou moins d’angoisse, au ralenti, sans projection, sans imaginer le monde d’après… Voilà la vie en 2020, une vie entre parenthèses.
En 2021 nous voilà vacciné ! Ouf ! Alors oui, j’étais inquiète sur le vaccin, les adjuvants, les effets secondaires mais cette vie entre parenthèses était bien plus stressante, donc ça y est je suis vaccinée ! La vie semble avoir repris comme avant, travail, commerce, restaurant, bar, sortie, voyages, soirées en famille et entre amis.
Mais non, tout n’est pas comme avant.
Le masque et les gestes barrières sont ancrés dans le quotidien, la question sanitaire et de l’hygiène restent dans toutes les têtes. Ma direction a décidé, suite aux lois gouvernementales, de faire bouger les lignes concernant le télétravail : 2 jours par semaine, inimaginable avant. Les vols reprennent, les projets de vacances renaissent mais les déplacements professionnels sont faits avec parcimonie, les visioconférences sont très souvent préférées. La télémédecine est aussi rentrée dans nos pratiques et simplifie la prise de rendez-vous et le suivi.
Cela incite notre gouvernement et nos collectivités à développer les accès à internet, doter les familles d’ordinateur pour que personne ne reste sur le bord de la route, et donner une chance à tous de s’inscrire dans ce changement.
Notre restaurant préféré est heureux de nous accueillir, mais propose aussi des menus en Click and Collect ainsi que nos producteurs locaux qui favorisent les circuits courts et nous redonnent une idée des saisons avec les fruits et légumes du moment (fini les tomates en janvier !). Le local et la proximité sont devenus des pratiques évidentes favorisant réactivité et qualité.
Le monde de la formation, de l’accès au savoir est totalement bousculé.
L’éducation, déjà tournée vers des pratiques innovantes autres que le « prof sur l’estrade » s’est dotée d’outils et de techniques, pour enseigner différemment. Des cours à distance, des classes inversées sont proposés, favorisant ainsi de la flexibilité dans l’enseignement et une forme de responsabilisation des apprenants vers un « apprendre à apprendre » en cultivant la curiosité.
La connaissance peut s’acquérir différemment via le digital et la technologie. Les casques de réalité virtuelle donnent accès à la visite de musées, à l’apprentissage, à la thérapie, au voyage, au jeux… Une forme de rester chez soi tout en étant ailleurs. Je nous sens plus disposés à cela dorénavant.
De nombreux actes du quotidien réduisent la circulation et l’empreinte carbone s’en trouve améliorée.
Pour conclure je reprends cette citation, sur l’avenir post COVID, de Luc Dupont, professeur au Département de communication de l’Université d’Ottawa : « Sur le plan des comportements à venir, je ne parle donc pas d’une révolution, mais d’une accélération des changements, tant sur le plan social, culturel, technologique, commercial que marketing. »
En économie, nous empruntons (à un phénomène physique) le terme “hystérésis” pour désigner les systèmes qui, ne reviennent pas automatiquement au statu quo une fois la cause disparue… Il est évident que nous ne reviendrons pas comme avant, même la crise passée.
A nous d’inventer le monde d’après et commençons à y croire maintenant…
Christelle Boudet, présidente de la Commission Sociologie, Manager Compétence chez Forterro Group
Merci à Christelle Boudet pour cet article qui mêle la prospective et le regard sociologique et qui souligne la pertinence du concept d’hystérésis pour penser ce qui nous arrive. Il m’a inspiré quelques réflexions, très hasardeuses, que voici.
Oui mais pas comme avant…
Tout le monde aspire à revivre comme avant, mais avec la conviction que le monde d’après ne sera pas comme avant. Mais que veut-on dire en disant « comme avant » et « pas comme avant » ?
Par définition, après ne peut pas être comme avant. La flèche du temps rend l’identité des moments impossible. Il y a avant, et il y a après : après n’est pas la répétition d’avant, avant n’est pas l’anticipation d’après. L’irréversibilité est la loi profonde du vivant.
Ensuite, de quel avant et de quel après parle-t-on ? Dans le monde d’avant dont on regrette la disparition, ou avant notre monde d’avant, on serait mort en masse, bien plus considérablement, et dans une acceptation fataliste. Avant l’avant de la crise, un virus décimait les populations aveuglément, immensément. Inversement, l’après du monde d’après est inscrutable. L’avenir de l’avenir ne sera pas comme après. Donc rien n’est jamais comme avant. L’histoire ne se répète pas. Il n’y a pas d’histoire immobile mais seulement, à l’extrême, une histoire quasi-stationnaire. Rien de nouveau dans le monde d’après qui n’aurait pas été le même qu’avant, crise ou pas.
Mais évidemment, quand on craint que, la crise passée, le monde ne soit plus comme avant, on veut dire autre chose. Quelque chose s’est bien effectivement brisé : une certaine insouciance de la vie individuelle et collective, une spontanéité des pensées et des actions, une immédiateté des relations, une proximité des corps, une confiance dans la médecine, la science et l’Etat aussi, la certitude d’appartenir à un âge post-pandémique. qui constituaient l’arrière-plan implicite de notre être social au monde. Et de fait, il est probable que ces bouleversements continueront d’informer tous les comportements durablement, même quand la pandémie ne sera plus qu’un douloureux souvenir : hystérésis donc.
Mais le télétravail, la télé-médecine, la visioconférence, le port du masque, etc. étaient des possibilités d’avant. Ce que change la crise, c’est l’accélération des nouveaux dispositifs, de la numérisation, de la virtualisation du monde. Comme avant mais de manière précipitée. Dans cette perspective, le monde d’après ne serait que l’avènement concret et hâtif des potentialités de changement du monde d’avant. Il s’agirait alors, au-delà d’un techno-optimisme naïf, de conduire les lignes évolutives dans le sens qu’on pourrait juger souhaitables d’une société plus juste, plus équitable, plus écologique — seule manière de rompre décisivement avec la fausse discontinuité d’avec le monde d’avant. Enfin, si l’épidémie de Covid 19 prélude un cycle de pandémies, alors l’exception de la crise sanitaire s’annulera dans la généralité de la crise continuée, indéfinie, qui caractérise notre monde. Après sera décidément comme avant : l’état de crise permanent.