« Dès demain midi, et pour 15 jours au moins, nos déplacements seront fortement réduits » déclaration de M. Macron le 16 mars 2020 comme un coup de tonnerre laissant place dans le mental des français qu’à l’urgence : se nourrir, les enfants, le travail, et les anciens, … Que faire ? Où se réfugier ? Vais-je l’attraper ? Comment me protéger ? Et mes rendez-vous ? …
L’intelligence collective
Nous avons découvert alors notre gouvernement s’appuyant sur un collectif d’experts pour établir une opinion, oh combien complexe au vu de l’incertitude sanitaire, et, essayer de construire des solutions adaptatives face à la crise. Est-ce une forme d’intelligence collective ?
Cette notion étudiée par le sociologue et philosophe Pierre Levy a été défini comme une intelligence partout distribuée (collectif), sans cesse valorisée (qualité humaine), coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences Elle se dissocie de l’intelligence émotionnelle qui ne relève que d’un individu propre. Pierre Levy a modélisé un réseau d’interconnexion entre des capacités au sein duquel l’intelligence collective se développe.
Si nous prenons notre situation actuelle, 1er exemple : l’ensemble des pouvoirs publics locaux, faute de moyens, aujourd’hui à travers des communautés de solidarité essaie de créer au sein de la population cette dynamique d’intelligence pour amener des solutions innovantes et impliquantes face aux difficultés. Ainsi via les réseaux sociaux locaux, l’accès au ravitaillement de proximité s’est développé par la connaissance de chacun de producteurs locaux, mais aussi par l’innovation des pratiques dans la livraison : drive à la ferme, livraison à domicile en mettant dans une glacière faisant office de boite aux lettres … 2ième exemple : c’est l’adaptation d’un masque de plongée Decathlon en masque pour respirateur artificielle par le travail collectif d’un ancien médecin italien Renato Favero, de la société Isinnova fabricant des valves, et des hôpitaux / patients s’étant soumis aux tests.
En synthèse aucun lien entre ces parties avant l’urgence de la situation, et, pourtant un travail abouti et efficient, servant la communauté. Les axes Savoir-Etre et Savoir-s’Organiser de BOD@ ont évolué : un médecin à la retraite a levé son état de « retraité » pour mettre son idée et son expérience à la disposition de la communauté, une société à but lucratif a ouvert gracieusement ses études et sa production (facteur de coût), un hôpital réglementé avec des nécessaires homologations de matériel a jugé l’opportunité d’utilisation. L’urgence et l’utilité sont facilitateur de cette intelligence collective enlevant les barrières structurelles, et augmentant l’implication et la motivation des équipes.
Dans les approches agiles de management des équipes professionnelles de nombreuses pratiques (Icebreaker, Obeya, « les remues méninges », map mapping, daily meeting, …) sont utilisées pour solliciter ces fonctionnements. L’organisation matricielle souvent doit alors évoluer pour maximiser cette intelligence collective , et nous avons alors les approches « libérées » dans les entreprises comme le préconise Isaac Getz, ou les organisations responsabilisantes d’Henrik Kniberg chez Spotify, ou le management 3.0 (leadership) de Jurgen Appello par exemple. Mais que serait la production de l’intelligence collective sans la technologie, et vice versa ?
Le Numérique
Reprenons encore des exemples pour mieux illustrés nos propos. La communication qui a été restreinte physiquement au 1er cercle des proches, s’est vu élargie via les moyens numériques de communication qui vont du simple téléphone, aux réseaux sociaux, aux webconférences, … Nous voyons nos anciens, souvent négatif par rapport aux réseaux sociaux, maintenant accepter de les utiliser pour voir leurs enfants ou petits-enfants. Les imprimantes 3D participent à l’effort (initiative réserve imprimante 3D) en créant des masques ou des pièces de respirateur. Les plateformes de formation à distance sont sollicitées et les ENT (environnement numérique de travail) prennent enfin tout leur sens d’utilisation dans l’éducation nationale, où ils ne sont plus que le réceptacle des notes mais aussi le lieu du savoir et du partage. La télémédecine , réglementée depuis 2009 mais sous utilisée, est devenue d’un coup centrale. Des outils collaboratifs comme Zoom, Klaxoon, Trello, Slack, IObeya, Office365 … sont portés en avant dans les entreprises pour faciliter le télétravail et la collaboration des équipes afin de maintenir la production. Les opérateurs de téléphonie, comme Orange, communique sur leurs capacités à accroitre les flux internet et surtout a délivré un service en continuité.
Cependant la fracture numérique, 17% d’illectronisme en France en 2019, dont une pédagogie lente avait été initiée par des lieux offerts aux publics de services numériques mais actuellement fermé pour confinement, marque encore plus l’inégalité de fonctionnement (source Baromètre numérique 2019) dans la population : 76% de la population en 2019 équipée d’ordinateur, 77% en smartphone, 88% avec connexion internet, sans compter les zones blanches de communication (3G,4G).
Le numérique joue un rôle prépondérant dans les solutions de résolution de la crise, et à minima dans notre capacité à surmonter la nécessité de produire, mais aussi de rompre l’isolement psychique et physique, mais des inégalités restent encore prenantes.
L’effet Covid-19, une nouvelle ère
Cette crise sanitaire, et bientôt économique, a remis en valeur nos capacités d’innovation et d’actions faisant appel, face à l’urgence, au dynamisme de notre intelligence collective, mais, aussi précipité notre basculement en marche forcée vers toutes les pratiques du numérique, de la communication, au partage, à la culture et à la formation, jusqu’au soutien psychologique et médical, ce que nous essayions de développer depuis plus d’une dizaine d’années au sein de la population très peu convaincu des bienfaits du système. Elle représente une formidable ouverture vers les capacités individuelles augmentées dans un collectif en s’appuyant sur le numérique pour développer la performance.
Encore une fois la citation de Nietzsche prend tout son sens : « Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ».
Claudine Blanquier, Coach Senior Agile, IC Agile, PO Scrum Alliance, BB Lean Manager IT,
membre de la Commission Sociologie de NXU Think Tank
Comme le montre Claudine Blanquier dans cet article, la situation permet une autre lecture de la crise actuelle, en soulignant l’effectivité de l’intelligence collective, telle que le philosophe et sociologue canadien Pierre Lévy la théroisait dès 1994. Elle révèle le dynamisme et l’implication de nombreux acteurs qui se coordonnent pour trouver des solutions inédites. De nouveaux liens ont été créés, des compétences ont été mises en commun et en synergie — ce qui aurait été impossible sans le numérique. Donc la crise, comme le conclut l’article, à la fois réveille des capacités d’innovation et d’action et « précipite » davantage dans un monde de la nouvelle socialité numérique. Elle est elle-même un événement ou un facteur causal de la situation où elle s’inscrit.
Mais peut-être faut-il tempérer même cet optimisme au service de la « performance ». Car d’une part, la crise révèle aussi les défaillances de l’Etat, et ce rapport entre la société numérique et l’Etat est au autre défi à relever. D’autre part, il ne faudrait pas oublier ce que nous aurons perdu dans cette crise : de la liberté, une certaine insouciance, au moins momentanément, dans notre rapport à la vie et au travail, et plus tragiquement des vies. Ce qui ne tue pas rend plus fort, mais la crise a tué et continue de tuer.
Laurent Cournarie
Le numérique et l’intelligence collective se met au service de la résolution de la crise, et est d’autant plus efficace par la nécessité temporelle, ceci est à dissocier de la performance. Il ne remplace en rien nos droits, nos approches, nos perceptions et ressentis face aux comportements individuels et/ou collectifs.
Merci Claudine pour ce tableau nourri de plusieurs références pertinentes!
Comme quoi, l’adaptabilité est clairement une qualité humaine 🙂 dommage qu’il ait fallu attendre une crise sanitaire pour que certaines transitions numériques – initiées déjà depuis plusieurs années avec lourdeur et pessimisme – se réalisent enfin subitement avec une efficacité redoutable en seulement quelques jours.
En dehors des temps de crise, l’accompagnement au changement et la communication habile sont d’autres softs skills qui restent encore à développer!
Pour rebondir sur le commentaire de Laurent, il convient en effet de rester vigilant face à la vague du numérique et son impact sur nos comportements sociaux. Le numérique appelle à toujours plus d’immédiateté (la « techcélération », accélération liée au numérique): une exigence d’instantanéité que nous pouvons de plus en plus avoir tendance à imposer aussi dans nos interactions avec nos proches et collègues du travail. Est-ce que nous souhaitons vraiment cela ? Arriverons-nous à faire la distinction dans nos attentes d’instantanéité entre outils et collègues de travail ?