Dans le contexte de la levée des mesures visant à contenir la propagation du COVID-19[1], le Centre européen de contrôle et de prévention des maladies a demandé aux États membres de l’Union européenne (UE) d’identifier et de suivre les personnes ayant été en contact avec des personnes testées positives (ci-après « personnes contact ») afin d’interrompre les chaînes de transmission du virus.
Traditionnellement, la recherche de « personnes contact » est effectuée par des agents de santé publique qui interrogent les malades. Toutefois ce procédé étant basé sur les souvenirs du malade, il ne permet pas de retracer les « personnes contacts » inconnues de lui. Sur ce point, les applications mobiles dotées de fonctionnalités de traçage peuvent être d’une grande aide : elles permettent d’identifier les « personnes contact » connues et inconnues du malade et de leur notifier rapidement des informations tant sur la manière de réduire le risque de transmission ultérieure que sur les mesures à prendre en cas d’apparition de symptômes. D’un point de vue de santé publique, le développement de ces outils numériques en parallèle des enquêtes humaines de contact (qui restent absolument essentielles concernant les personnes qui n’ont pas de téléphone ou qui n’auraient pas accès à ces applications) a donc un intérêt non négligeable.
Des initiatives en ce sens ont alors vu le jour dans de nombreux États membres de l’UE : Autriche, Chypre, République-Tchèque, Allemagne, Estonie, Finlande, France, Italie, Pays-Bas, Pologne et Portugal. Parallèlement, consciente que la multiplication de ces initiatives fragmentées ne favoriserait pas la reprise de la libre circulation au sein du territoire européen, l’UE s’est rapidement saisie de la question afin d’enclencher une coopération européenne sur la question[2]. Les autorités sanitaires des États membres ont alors identifié collectivement les exigences de base à respecter dans le contexte du développement, du déploiement et de l’utilisation de telles applications, notamment en termes de protection de la vie privée[3].
Suite à l’élaboration de ce cadre commun, cent-trente chercheurs et scientifiques issus de huit pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie et Suisse) ont créé la plateforme ouverte Pan-European Privacy Preserving Proximity Tracing[4]. Cependant depuis sa création, cette plateforme a suscité la controverse et l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Suisse ont abandonné l’initiative. Pourquoi ? Une première raison serait le manque de transparence de la gouvernance des opérations menées au sein de la plateforme[5]. Toutefois, la raison essentielle à cette désolidarisation serait que cette plateforme favorise les solutions impliquant un stockage centralisé des données (sur un serveur national et européen). Or, bien que cette conception ait l’avantage de permettre une réutilisation des données à des fins de recherche en santé publique, de nombreux scientifiques ont manifesté leur inquiétude du fait que l’état de l’art ne permet pas de garantir l’anonymat des données, donnant ainsi une prise à des États qui souhaiteraient surveiller leur population[6].
Finalement, force est de constater que malgré la bonne volonté de l’UE, cette coopération européenne est pour l’instant un échec. Certes les doutes concernant la capacité effective de protéger la vie privée des citoyens européens dans le contexte du développement de ces applications de traçage justifient l’abandon du projet susmentionné. Cependant, plutôt que de rebondir et essayer de trouver de nouvelles solutions à l’échelle européenne, échelle qui semble devoir être privilégiée afin de faire face aux enjeux que nous connaissons aujourd’hui, les Etats membres préfèrent encore une fois faire cavaliers seuls en abandonnant tout simplement l’idée d’une coopération : une conséquence de l’absence de compétence exclusive de l’UE en matière de santé.
Anthéa Sérafin, Cheffe de projet de l’éthique des données pour Occitanie Data, associée à l’équipe de recherche Bioethics (UMR 1027 – INSERM – Université Toulouse III)
[1] Disponible sur : https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/joint_eu_roadmap_lifting_covid19_containment_measures_fr.pdf
[2] Recommandation de la Commission européenne relative à une boîte à outils commune de l’Union pour l’utilisation des technologies et des données pour combattre et sortir de la crise COVID-19, notamment en ce qui concerne les applications mobiles et l’utilisation de données anonymes sur la mobilité, 8 avril 2020.
[3] eHealth Network, Mobile applications to support contact tracing in the EU’s fight against COVID-19, Common EU Toolbox for Member States, Version 1.0, 15 avril 2020.
[4] Pour en savoir plus : https://www.pepp-pt.org/
[5] https://www.euractiv.com/section/digital/news/epp-cite-controversial-pepp-pt-as-example-for-single-european-covid-19-app/
[6] Déclaration disponible sur : https://drive.google.com/file/d/1OQg2dxPu-x-RZzETlpV3lFa259Nrpk1J/view ; aujourd’hui le Parlement européen recommande également de privilégier des solutions impliquant un stockage de données décentralisé (c’est-à-dire uniquement sur la mémoire interne du téléphone). Voir en ce sens : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RC-9-2020-0143_EN.pdf
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