Le Grand Débat national, lancé par le Président français Emmanuel Macron entre janvier et avril 2019 à la suite du Mouvement des Gilets jaunes, portait un objectif ambitieux. Il devait « redonner la parole aux Français sur l’élaboration des politiques publiques qui les concernent[1]. » À l’issue de la consultation, plus de 1,9 million de questionnaires avaient été déposés en ligne par 504 172 contributeurs uniques, dont quelque 569 000 contributions détaillées. Par ailleurs, 16 337 cahiers de doléances avaient été remplis dans les mairies de France. Pourtant, la montagne de contributions a accouché d’une souris ! D’après le journal Les échos, ces millions de retours, en ligne, dans des comptes-rendus de réunions, dans les cahiers de doléances, n’ont donné lieu qu’à … 9 projets[2] ! Compte tenu de l’abîme entre les efforts fournis par les participants et l’indigence de la réponse fournie, on serait tenté de dire que le Président de la République et son gouvernement se sont moqués du monde. Ou, à tout le moins, que l’objectif était faussé, qu’il ne s’agissait ni de débattre, ni de recueillir des propositions en dehors des « recettes classiques ». La méthode pour traiter ces résultats permet de comprendre qu’il ne pouvait pas en être autrement.

 

Quatre grands thèmes de réflexion étaient proposés : fiscalité et dépenses publiques, organisation de l’Etat et des services publics, démocratie et citoyenneté, transition écologique. Le visiteur du site en ligne était invité à répondre à des questions fermées, avant d’ajouter ses propres remarques. D’autres propositions ont été recueillies dans les réunions organisées ou dans les cahiers de doléance. Les réponses fermées furent analysées par l’institut de sondage Opinionway. Les réponses ouvertes et les propositions furent revues par ce même organisme, après un traitement automatique réalisé par un outil à base d’Intelligence artificielle développé par la société Qwam. Dans la synthèse disponible sur le site du Grand débat national[3], on retrouve la plupart des réponses des participants regroupées sous forme de pourcentages. Dans certains cas, les sujets les plus fréquents ont été synthétisés par des listes à puces, dans des documents Powerpoint. Par exemple, le compte-rendu des Conférences Citoyennes Régionales sur le sujet « Démocratie et citoyenneté » présentait « Ce qui va » (3 lignes), « Ce qui ne va pas » (7 lignes) et « Ce qui fait débat » (6 lignes). Les 4 diapositives suivantes listaient les titres de 59 propositions, aussi peu explicites que « les comités citoyens » ou « la mise en place de consultations citoyennes ».

 

Il ne fallait pas attendre grand-chose de cette approche statistique et superficielle (c’est-à-dire sous forme de diaspositives Powerpoint) des remontées citoyennes.

Un débat suppose la confrontation d’idées et d’arguments. Des sujets comme « le vote blanc et le vote obligatoire » ou « la représentativité des élus » méritaient mieux qu’une simple mention dans les sujets qui « font débat ». Le Grand débat national aurait dû impliquer les citoyens sur une longue durée, voire de mettre en place une discussion permanente sur ces différents sujets.

Parmi les plus de 500 000 propositions détaillées, il y avait d’évidence des applications concrètes, dignes d’intérêt. Cette approche statistique ne les a bien sûr pas détectées. Les idées originales ont cette particularité d’être partagées par peu de monde. Dès lors, il ne faut pas s’étonner qu’aucune proposition révolutionnaire ne soit ressortie de ces traitements informatiques.

 

Une approche agile de ce Grand Débat national aurait donné des résultats autrement plus probants. L’agilité est née au début des années 2000. A cette époque, les cycles de développement, inspirés des méthodes de gestion de projet du génie civil, dépassaient l’année, entre l’expression du besoin et la mise en production de l’évolution logicielle associée. Des projets informatiques ont échoué ou ont connu des retards et des surcoûts retentissants, de par les risques engendrés par leur taille et leur complexité. C’est à ce moment que les acteurs de la révolution internet ont réalisé que ces méthodes étaient inadaptées pour répondre aux besoins de leurs clients.  En découpant les projets informatiques en évolutions beaucoup plus petites, priorisées entre elles, l’agilité réduit les cycles de développement et, par voie de conséquence, les risques de retard ou de surcoût associés. Elle augmente le « Time-to-market », en livrant au plus vite les évolutions attendues par les clients. De nos jours, de très gros projets informatiques sont gérés sous forme agile, avec des livraisons passées de tous les six mois (soit 3 versions de 18 mois développées en parallèle), à tous les mois. La révolution à suivre est celle de l’intégration continue / déploiement continu (CI/CD), tendant à réduire à quelques jours voire quelques heures l’intervalle entre la demande d’évolution issue des retours clients et la mise en production de l’évolution. Nous n’en attendons pas tant !

Imaginons que ces centaines de milliers de propositions aient été saisies sous forme de cartes d’évolution, dans des tableaux agiles numériques accessibles en ligne à tous. Les demandes auraient été triées et regroupées, avant d’être analysées et débattues par des groupes de validation composés de citoyens. Les plus pertinentes d’entre elles auraient été largement détaillées, précisées, chiffrées, priorisées, avant d’être mises en place ou présentées au Parlement pour être votées. D’autres auraient été refusées, après une argumentation détaillée. Les citoyens apprécieraient une transparence totale du cheminement de leurs idées dans les tableaux Agile partagés et de leur état d’avancement. Il s’agirait, en l’espèce, d’une véritable démocratie participative, accessible à tous en quelques clics, applicable tant au niveau local qu’au niveau national, et efficace.

Les outils informatiques existent. Il suffit de choisir la bonne granularité pour les tableaux de suivi et de mettre en place une organisation adéquate.

L’informatique n’est pas le seul domaine où l’agilité a un sens. La démocratie a beaucoup à y gagner. Il reste un espoir : le site du Grand Débat national met à disposition ces propositions sous format numérique. Des citoyens volontaires disposant des bons outils pourraient s’en saisir et relancer ces propositions.

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