Nous ne sommes pas tous égaux devant l’innovation. Du moins, nous pouvons adopter des attitudes différentes, évidemment non-exclusives.

En voici quelques-unes que l’on formule assez spontanément.

Refuser l’innovation ?

On peut refuser l’innovation par principe ou du moins renâcler contre son usage incantatoire incessant. Cela peut être la position du philosophe, ou d’un certain type de philosophe qui reprend toujours, peu ou prou, la critique de la raison instrumentale (Ecole de Francfort) qui asservit les hommes et la nature elle-même (technophobie). Si l’innovation est le principal facteur de croissance et si la croissance illimitée dans un monde fini est une aberration que les ressources naturelles ne supportent déjà plus, alors il faut vouloir la décroissance et donc être plus ou moins résolument, plus ou moins sélectivement, anti-innovation.

Innovation vs humanité. La conscience écologique devant la crise environnementale s’arme parfois de ce discours.

S’y adapter ?

On peut s’adapter à l’innovation, et d’ailleurs c’est ce que chacun est contraint de faire, quoi qu’il pense à son sujet. On en est tous là. On est révolutionné par les innovations technologiques, mais elles finissent par être amorties, non sans crise ou fracture sociales. Mais l’un dans l’autre, nous faisons avec les innovations (pragmatisme). Elles s’imposent à nous comme une puissance impersonnelle. Elles bouleversent nos vies mais nos vies parviennent encore à les intégrer — jusqu’à quand ? Mais heureusement, le management de l’innovation est là pour développer la culture de l’innovation et favoriser l’adaptation à l’innovation. Innovons ou jouissons de l’innovation sans entraves.

Avoir confiance ?

On peut aussi accepter toute innovation, assurée qu’une innovation, fut-elle mauvaise, sera corrigée par une bonne, ou que le jugement sur la valeur innovation vient toujours trop tard, c’est-à-dire après coup (technophilie).

Une innovation est dépassée, vive l’innovation. L’innovation est un processus ou la logique irrésistible d’un processus.

La trier ?

On peut encore se donner comme principe raisonnable de trier entre les innovations ou favoriser certains usages de certaines d’entre elles contre d’autres — donc reconduire la conception humaniste de la technique : les techniques (ici les innovations) sont moralement neutres et dépendent de la fin qu’on leur assigne. Donc il appartient à l’humanité de se choisir, en choisissant son avenir, en choisissant quelles innovations elle poursuit ou abandonne. Cet humanisme technologique n’a pas renoncé à l’idée de progrès et se présente comme un usage éclairé de l’innovation. Le choix responsable de l’innovation choisie. Mais déjà en son temps, M. Heidegger soulignait la part d’illusion de ce rapport à la technique, aveugle à la réalité contemporaine technoscientifique qui réquisitionne l’humanité davantage que la techno-science n’est commandée par elle : l’homme comme être maîtrisé et possédé par la technique.

Favoriser l’innovation

Mais la discussion sur la valeur de l’innovation peut aussi paraître aussi vaine que superflue. Il s’agit bien plutôt de la favoriser parce qu’elle est le principal facteur de la croissance économique. Qui n’innove pas est condamné à disparaître dans la compétition économique mondiale. Ou l’innovation ou le suicide collectif. Il n’y a pas d’autre choix que l’innovation si l’on ne veut pas décliner et renoncer à son indépendance. La souveraineté par l’innovation.

Sans doute, y a-t-il innovation et innovation, et l’on ne dispose toujours pas d’une grammaire précise du nouveau (invention, création, novation, amélioration…).

Mais l’innovation n’a-t-elle pas un caractère “systémique” comme on aime à dire aujourd’hui ?

Un penseur libéral peut s’interroger, paradoxalement, sur la nécessité d’interdire les réseaux sociaux à la jeunesse pour la préserver, en utilisant les réseaux sociaux qu’il condamne. Faut-il une pensée elle-même innovante pour diriger l’innovation ou la pensée, par le recul, la distance qu’elle exige, doit-elle suspendre l’adhésion à l’innovation ? La temporalité de l’innovation et celle de la pensée sont-elles conciliables ?

Ce qui est sûr, c’est qu’à NXU, les débats transversaux sur le sujet ne font que commencer.

Laurent Cournarie – Professeur de philosophie – Chaire Supérieure – Première supérieure – laurentcournarie.com

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