L’Humanité porte une responsabilité collective vis-à-vis des générations à venir, qui suppose de se projeter mentalement sur le futur. La crise climatique en cours ne cesse de nous rappeler les conséquences de nos actes, ou de notre absence de réactions. Cependant, nous sommes aussi invités à rechercher, parmi l’actualité, des événements, des innovations techniques, des choix et des non-choix susceptibles d’impacter la vie de nos descendants.

 

En ce premier semestre 2023, les médias se focalisent sur la réforme des retraites en France et la guerre en Ukraine. Pourtant, à n’en pas douter, des innovations techniques, apparues à la fin 2022, modifieront, en profondeur, le quotidien des enfants de nos enfants, voire le nôtre dans les décennies à venir.

 

La première, c’est l’annonce, le 5 décembre 2022, de la réalisation par un laboratoire américain d’une première réaction de fusion nucléaire contrôlée, avec un dispositif de lasers à très haute énergie, qui a produit plus d’énergie qu’elle n’en a consommée. Si, selon les spécialistes, plusieurs décennies séparent ce dispositif expérimental d’une centrale à fusion nucléaire, on pourrait imaginer avant la fin du siècle que l’on produise une part significative de l’énergie dont l’Humanité a besoin, de cette manière. Cette énergie « infinie » (ou presque) offrirait une alternative enfin réaliste aux énergies fossiles, sans effet délétère sur le climat, tout en produisant beaucoup moins de déchets que les réacteurs à fission nucléaire. Les problèmes de sécurisation de la réaction et des enceintes, à l’origine des accidents de Tchernobyl ou Fukushima, demeurent un point très important, alors que les températures atteintes s’approchent de celles du soleil.

De là à annoncer la résolution du problème climatique, il y a un pas qu’il paraît difficile à franchir. Mais on peut imaginer qu’avec cette énergie « infinie » et (presque) sans déchets, l’Humanité pourrait enfin s’occuper d’autres problèmes liés à son développement technique : le traitement de la pollution aérienne, terrestre, océanique, aux plastiques, aux perturbateurs endocriniens, ou aux déchets industriels.

 

L’autre nouveauté concerne l’entrée en fanfare, dans le domaine public, d’Intelligences artificielles aux résultats étonnants.

 

Depuis plusieurs mois, ChatGPT de la société OpenAI occupe les conversations des informaticiens du monde entier. Cette Intelligence Artificielle est en mesure de répondre à des questions par des textes structurés, de rédiger une dissertation en droit ou en philosophie, ou un article sur un sujet quelconque. Des étudiants l’ont rapidement adoptée pour tricher aux examens, de sorte qu’elle a été aussitôt interdite dans nombre d’établissements secondaires et supérieurs. ChatGPT peut également écrire des programmes simples, ou détecter des failles de sécurité dans du code informatique.

Ces Intelligences machines[1] bouleversent des métiers aussi variés que ceux d’enseignant, d’avocat, de programmeur informatique, de traducteur ou d’expertise-comptable.

 

Dans le même temps, des IA génératrices d’images comme Midjourney ou Dall-E créent des illustrations ou des peintures d’un réalisme bluffant. Récemment, Midjourney a été utilisé pour la diffusion de fausses photos du Pape François en doudoune, de Donald Trump arrêté par des policiers et d’Emmanuel Macron assis sur un tas de poubelles, qui ont fait sensation sur les réseaux sociaux.

Ces IA interrogent l’avenir de l’activité de création artistique humaine. Nos descendants, et peut-être nous-mêmes, nous émouvrons-nous en lisant des romans écrits et illustrés par des machines ? en écoutant des chansons d’amour écrites, composées et interprétées par celles-ci ? Quel sens faudra-t-il donner à ces émotions, totalement « artificielles », parce que jamais éprouvées par le programme ?

 

Mais le pire c’est que tout s’accélère. Chaque semaine semble apporter une nouvelle application des IA pour remplacer des humains.

 

Face à des bouleversements d’une telle ampleur, des entrepreneurs reconnus, dont Elon Musk, et des experts de l’IA ont réclamé un moratoire de six mois sur le développement commercial de l’Intelligence Artificielle. Si cela s’avère nécessaire, cela reste insuffisant.

 

Dans un monde économique, culturel, organisé par les logiciels, l’Homme, nourri, choyé et bercé par l’IA, est menacé d’être inutile, comme ne cesse de le souligner l’historien Yuval Noah Harari. Pour la première fois de son Histoire, il pourrait devenir l’animal domestique de sa propre création, nourri, distrait et chouchouté par celle-ci.

C’est peu de dire qu’il nous faut une réflexion approfondie sur les conséquences éthiques et sociétales de ces nouvelles techniques, une vision à long terme et des actions immédiates pour lutter contre leurs dérives les plus flagrantes.

 

[1] Comme les appelle Yann Le Cun, responsable de l’IA chez Facebook.

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