As robots become more autonomous, it may be plausible to assign responsibility to the robot itself, that is, if it is able to exhibit enough of the features that typically define personhood [1].

Etendre le concept de personne ?

Si l’on peine toujours à définir précisément ce qu’est une personne (ou ce qui fait qu’une personne est une personne, et donc ce qui fait qu’un individu est reconnu comme tel [2]) et si, par ailleurs, le concept de personne a pu être attribué à un être non humain (le Dieu trinitaire du christianisme [3]), malgré la différence ontologique irréductible (être fini et imparfait pour l’homme, être infini et parfait pour Dieu), pourquoi ne pas attribuer le statut et la dignité de la personne à l’animal (ou à certains animaux) et à une intelligence artificielle programmée par l’homme ?

L’extension du concept de personne aujourd’hui se déploie sur ces deux fronts : un front “animaliste” (reconnaître une personnalité juridique pleine et entière aux animaux) et un front “technoscientifique” (reconnaître une “personnalité électronique” aux robots et aux IA), voire “transhumaniste”.

 Le raisonnement, peut-être un peu court, est le suivant :

Si Dieu autant, et peut-être d’abord et davantage que l’homme, a pu être considéré comme une personne, pourquoi pas l’animal (être vivant intelligent) et l’IA (être artificiel intelligent) ?

Le sens de l’histoire ou l’évolution de la civilisation humaine (dans sa trajectoire occidentale) va dans cette direction. Car plus on connaît la proximité entre l’animal et l’homme, plus on affirme que la différence entre l’un et l’autre n’est ni de nature (ici un animal non humain, là un animal humain) ni de culture (parce qu’il y a une culture animale et/ou parce que l’opposition nature-culture n’est pas un universel anthropologique [4]), plus alors il devient ou il devrait être urgent d’attribuer la personnalité juridique à l’animal ou, du moins, de concevoir une nouvelle catégorie juridique (personne non-humaine).

Et si, d’un autre côté, le monde humain est désormais investi, constitué, relié, structuré, organisé par des réseaux d’IA dont les capacités cognitives et relationnelles augmentent sans cesse, pourquoi ne pas reconnaître les plus performants de ces êtres intelligents artificiels comme des personnes électroniques responsables ? Ainsi à côté du concept de personne juridique, on pourrait ouvrir le droit et, par lui, la civilisation, à une nouvelle catégorie, la personne non-humaine, susceptible d’accueillir de nouveaux candidats à la personnalité : l’animal et l’IA. Le monde serait ainsi constitué de choses (naturelles ou artificielles), d’événements et de personnes [5], celles-ci se répartissant en personnes humaines et personnes non-humaines.

Vers une société inclusive de plusieurs espèces de « personne » ? 

Le concept de personne n’est-il pas alors voué à être un concept trans-générique (entre le divin, l’animal, l’humain, le robotique) ? Si c’était le cas, la mutation anthropologique serait aussi profonde que celle impliquée par la crise environnementale. L’homme se verrait infliger deux nouvelles blessures narcissiques : n’être plus qu’un vivant parmi les vivants, avoir perdu le privilège du statut de personne.

Le processus est en marche. Le rapport de la députée Mady Delvaux auprès du Parlement européen [6] (16 février 2017) souligne ainsi que l’évolution technologique exige, au moins pour les robots les plus sophistiqués capables de prendre « des décisions autonomes de manière intelligente » et d’interagir « de manière indépendante avec des tiers », des réglementations spécifiques. On peut sans doute s’alarmer des effets de cette transformation du droit, propres à troubler profondément la notion même d’humanité. Le concept d’humanité ne peut plus être le même selon que le statut de personne s’étend seulement à l’humain comme jusqu’à présent ou au-delà de lui peut-être dans l’avenir.

Mais aussi bien cette (r)évolution peut avoir de quoi séduire tous ceux qui travaillent à la construction d’une société intégralement inclusive (égalité et inclusion étant les idéaux travaillant et structurant nos sociétés démocratiques), à condition d’accepter de frayer malgré soi avec le programme transhumaniste qui défend lui aussi la cause d’une dignité post-humaine, seule capable de saper la résistance du parti bio-conservateur hostile, pour sa part, à toute technologie d’amélioration humaine, au motif qu’elle remet(-trait) en cause la dignité humaine [7]. Or le parti pris écologiste d’une inclusion des animaux dans le cercle de la personnalité apparaît, pour le transhumanisme tout au moins, comme une variante du bioconservatisme. Vouloir étendre le statut de la personne à l’animal est peut-être un progrès moral du droit, mais c’est rester du côté du bioconservatisme, alors même qu’on conteste l’humanisme juridique (qui oppose les choses et les personnes et identifie indument les hommes aux personnes) qui en est la version la plus ordinaire.

Le concept de personne semble donc concentrer tous les enjeux et tous les débats contemporains. Mais une entité non humaine individuelle et physiquement incarnée (par opposition à la notion de personne morale) à laquelle on reconnaît une personnalité juridique est-elle une personne ? Une personne peut-elle avoir pour support un corps et/ou un esprit non humains ? Le monde inclusif post-humain de demain sera-t-il un monde où co-existent plusieurs espèces de personnes ?

Auteur :

Laurent CournarieProfesseur de philosophie – Chaire Supérieure – Première supérieure – www.laurentcournarie.com

Références :

[1] P. Lin, « Introduction to Robot Ethics», Robot Ethics : The Ethical and Social Implications of Robotics, dir. P. Lin, K. Abney, G. A. Bekey, Cambridge, MA, MIT Press, 2012, p. 8.

Cette citation, l’idée et l’enchaînement des nos réflexions nous sont inspirées par la lecture de l’article de Emmanuel Brochier, « Les robots pourraient-ils devenir des personnes responsables ?», La personne, fortunes d’une antique singularité juridique, Paris, Classiques Garnier, 2021, pp. 233-246.

[2] La question pratique aux conséquences éthiques décisives : “qui est une personne ?” paraît dépendre de la question théorique : “qu’est-ce qu’une personne ?”, qui n’a pas de réponse évidente.

[3] De la patristique à la scolastique, la théologie chrétienne a conceptualisé la notion de personne, en rapprochant les termes de persona (masque, personnage) en latin, de prosôpon (visage et masque) en grec et d’hupostasis (substance distincte), également en grec, pour résoudre l’ « anomalité ontologique » (cf. Stéphane Chauvier, Qu’est-ce qu’une personne ?, Paris, Vrin, 2012, pp. 16-17) du Dieu chrétien : un Dieu unique (monothéisme) qui se révèle sous trois formes (Père, Fils, Saint-Esprit) — un Dieu e en trois personnes (Dieu trinitaire), et la nature du Christ (Dieu et Homme) — une personne avec deux natures.

[4] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Folio, 2016.

[5] Si l’on suit par exemple l’ontologie descriptive du philosophe français Francis Wolff dans Dire le monde, Paris, Fayard, rééd. 2020.

[6] M. Delvaux, “Projet de rapport contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique » : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/JURI-PR-582443_FR.pdf?redirect

[7] Cf. Nick Bostrom, https://www.nickbostrom.com/ethics/dignity.html

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