De l’homme augmenté à l’homme remplacé ?

Réflexions sur les impacts de l’IA sur le monde du travail.

La banque de demain sera-t-elle sans humains ?

 

Nous sommes le 30 janvier 2042, Gabriel reçoit une notification de sa banque pour le prévenir que son salaire vient d’être versé. L’analyseur de budget lui indique le montant dont il peut disposer après les dépenses contraintes et lui rappelle que s’il le dépasse, il peut toujours utiliser le crédit réserve proposé par son conseiller virtuel. Il n’a jamais mis les pieds dans une agence. La dernière fois qu’il a vu un conseiller, c’était en visio sur son smartphone pour la mise en place du crédit pour acheter sa résidence principale. Pour le reste, l’application de la banque fait le travail de suivi et de propositions des services dont il pourrait avoir besoin en fonction de l’analyse des données qu’il partage avec sa banque comme son âge, sa situation familiale, ses liquidités. Cela marche 24h/24 et son conseiller virtuel anticipe en temps réel s’il risque d’être à découvert et lui propose une solution. Pour ses placements en vue de la retraite, le robot gère l’allocation de son contrat d’assurance – vie et optimise au mieux le couple rendement risque qui correspond à son profil. L’argent liquide a disparu et tous les flux sont analysés afin d’éviter les fraudes et d’ajuster les politiques commerciales.

Ce scénario se réalisera-t-il ? Après le commerce de détail, le secteur bancaire sera-t-il le prochain à être disrupté ? De nouveaux acteurs pourront-ils pénétrer ce marché qui semble avoir des barrières à l’entrée difficilement franchissables ?

 

Le secteur est en pleine mutation structurelle

La nouvelle génération a pris encore plus l’habitude d’utiliser son smartphone comme livre de comptes, portefeuille dématérialisé et ne voit pas l’utilité de perdre du temps à aller en agence. Les clients viennent moins en agence, mais accepteront-ils de ne plus avoir un interlocuteur dédié ? Les salariés de la banque accepteront-ils de confier des décisions d’investissements, d’arbitrage ou d’accord de crédit à des algorithmes ?

En plus des changements des comportements des clients, le secteur financier connaît depuis la crise de 2008 de profondes modifications. Elle a en effet montré le risque systémique des activités financières. En particulier, certaines activités spéculatives qui impliquent une prise de risque non maîtrisée et non cantonnée. La réglementation s’est beaucoup durcie et les établissements financiers doivent abandonner certaines activités liées aux marchés financiers qui impliquent désormais de constituer des réserves importantes, ce qui les rend beaucoup moins profitables. De façon à répondre aux exigences des autorités de tutelle, le contrôle des risques s’est nettement renforcé. Les sanctions possibles sont extrêmement élevées de façon à dissuader les plus téméraires.

D’autre part, la réponse économique à la crise de 2008 a été prise par les banques centrales qui ont augmenté la masse des liquidités à un niveau jamais atteint auparavant. Cet excès de liquidités lié à une politique de taux directeurs nuls voire négatifs a généré un effondrement des taux des prêts. La meilleure maitrise des données macro et micro- économiques permet de mieux mettre en œuvre la politique monétaire et de maintenir des taux d’intérêt bas et une inflation contrôlée. Mais la rémunération du crédit est devenue tellement faible que l’activité principale des banques génère peu de profits.

Le questionnement est d’autant plus douloureux pour les banques que tous ces outils d’aide à la gestion des comptes vont éviter une bonne partie des découverts et anomalies qui constituent un point clé de la rentabilité des banques. Désignées comme responsables de la crise, les banques connaissent également une pression importante sur le prix de leurs services. L’exigence de transparence a également un effet sur la baisse des marges. Les banques sont donc dans l’obligation d’avoir des gains de productivité si elles veulent survivre et à faire muter le modèle passif à un modèle proactif et surtout démultiplier les « services ».

De plus en plus d’outils et d’applications permettent de souscrire un crédit, placer ses économies et gérer ses dépenses en se passant d’un contact avec un conseiller. Pour répondre à la demande de réactivité et de disponibilité de leurs clients, les banques en ligne ont été les premières à mettre en place des chatbots et elles sont progressivement suivies par les banques de réseau. Grâce à la digitalisation, la gestion des comptes et la souscription de certains produits peuvent se faire 24h/24, 7j/7 via Internet. Les clients ont de moins en moins besoin de rencontrer un conseiller pour avoir des réponses à leurs demandes. D’autre part, avec l’information disponible sur Internet, de plus en plus de clients arrivent avec une meilleure connaissance de leurs besoins et des solutions que leur conseiller.

Afin d’aider les conseillers à mieux répondre aux demandes des clients, les banques ont développé des chatbots internes (RH, réponses techniques, procédures), des outils de tri et proposition de réponses aux emails, de compte-rendu d’entretien client écrit généré automatiquement en langage naturel. Cela leur permet de se concentrer sur les tâches à plus forte valeur ajoutée.

Les services de back-office ont été les premiers concernés par la réduction de leurs effectifs mais le contrôle interne pourrait également être touché alors que c’était un domaine de recrutement. Par exemple, la banque danoise Danske a été la première à utiliser l’IA pour améliorer la détection des fraudes[1]. L’IA sert d’abord à éviter les fausses alertes puis à la détection d’opérations suspectes. D’autres applications devraient apparaître rapidement pour la réduction du coût du risque client : recalibrage semi-automatique des scores d’octroi crédit (meilleure classification des clients), détection des clients en difficulté… D’après une étude de McKinsey, 85% des opérations de back-office sont automatisables.

Les chargés de clientèle risquent de voir leurs effectifs diminuer avec la fermeture de points de vente dans la plupart des réseaux bancaires. Au Royaume Uni, Royal Bank of Scotland (RBS), Lloyds Banking Group et Barclays ont déjà fermé plusieurs milliers de points de vente et la tendance s’accélère[2]. En Espagne, Caixa Bank va fermer 821 agences d’ici à trois ans et accélérer sa transformation digitale. En un peu plus de 15 ans, la Belgique a perdu la moitié de ses agences bancaires[3].

 

Toutes les activités bancaires sont impactées

La banque d’investissement et de marché est également touchée. Par exemple, Goldman Sachs a réduit son effectif de traders de 600 à 200 ingénieurs et 2 traders[4].

Dans la gestion privée, Yomoni ou Advizen proposent que des robots gèrent votre PEA ou votre contrat d’assurance-vie et seront suivies par les grandes banques comme BNP Paribas qui compte lancer un service d’allocation d’actif pilotée par des robots.

Pour les entreprises également, de nouvelles solutions de financement sont apparues avec le crowdfunding qui permet aux entrepreneurs de trouver des financements directs. La croissance du secteur est très forte et a permis de lever 500 ME à destination des TPE/PME en 2018 (1.4 milliards en 2018, soit 40% de plus qu’en 2017)[5].

Le marché des professionnels et des entreprises, qui est le plus rentable pour les banques de détail, reste pour le moment organisé de manière très traditionnelle. Les clients ont affaire à un conseiller dédié avec lequel ils conservent de nombreux contacts directs. Les banques proposent des solutions centrées sur les transactions financières, des services de paiement en ligne. Les enjeux sont pourtant identiques au marché des particuliers. Les attentes des professionnels sont les mêmes en termes de disponibilité, de flexibilité, de transparence des frais, d’accompagnement global. (…)

 

 

Aymeric Even

 

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[1]https://www.alliancy.fr/a-laffiche/intelligence-artificielle/2018/07/10/les-fraudes-bancaires-traquees-par-lia

[2]https://www.lesechos.fr/08/05/2018/lesechos.fr/0301650847353_les-banques-britanniques-poussent-les-feux-sur-les-fermetures-d-agences.htm

[3]Febelfin 2017

[4]France Stratégie, rapport IA et travail – mars 2018

[5]https://business.lesechos.fr/directions-financieres/financement-et-operations/credits/0600574404801-crowdlending-pres-de-300-millions-d-euros-pour-les-entreprises-326521.php