Partie II – évolution et transhumanisme
Résumé de la partie I. La survie de l’espèce est inscrite dans l’inconscient de chaque individu. Or le développement incontrôlé de l’intelligence artificielle, le dérèglement climatique, l’usage malveillant des biotechnologies ou une guerre nucléaire potentielle menacent l’humanité. Cette responsabilité de la possibilité d’une humanité future prend par conséquent une dimension éthique[1].
Maslow n’est pas le seul à mentionner ce besoin fondamental de perpétuation de l’espèce. Les neuroscientifiques désignent cet impératif consubstantiel à tout être vivant, de la bactérie à l’homme, sous le terme d’homéostasie : « L’homéostasie se réfère à l’ensemble fondamental des opérations qui sont au cœur de la vie, depuis son émergence dans la biochimie primitive (depuis longtemps évanoui) jusqu’à nos jours. L’homéostasie est l’impératif puissant non réfléchi et silencieux qui assure la persistance et la prédominance de tous les organismes vivants, petit ou grand rien de moins. Le volet de l’homéostasie qui recouvre la persistance est tout à fait transparent : il génère la survie. On le tient pour acquis dans l’étude de l’évolution des organismes et des espèces, et il ne fait l’objet d’aucune référence ou révérence particulière. Le volet qui recouvre la prédominance est plus subtil et rarement reconnu. Il agit de manière que le cadre de la régulation du vivant dépasse la simple survie ; de manière qui soit également propice à l’épanouissement, à la perpétuation de la vie dans l’avenir d’un organisme ou d’une espèce.» (A. Damasio, L’Ordre étrange des choses, Odile Jacob, 2017, p. 40).
La perpétuation de l’espèce ne signifie pas une recopie à l’identique. L’humanité, à l’instar des autres espèces vivantes, doit évoluer pour s’adapter à son environnement[1]. On sait depuis Darwin, que la sélection naturelle fonctionne par « variation aléatoire et adaptation », pour reprendre la formule de Francis Fukuyama (F. Fukuyama, Transhumanism)[2]. Aujourd’hui, les transhumanistes présentent l’homme augmenté par l’objet comme une innovation de notre évolution. D’après eux, « les êtres humains doivent arracher leur destinée biologique au processus aveugle de l’évolution par variation aléatoire et adaptation et passer, comme espèce, à l’étape suivante » (Ibid.). C’est faire bien peu de cas du recours de l’homme à l’outil depuis des temps immémoriaux. Porter des lunettes améliore la vision. Un fusil, un arc ou un lanceur préhistorique augmentent considérablement la portée et la force de frappe (au sens large) d’un chasseur ou d’un soldat, comparé à ses capacités naturelles « standards » (les mains et les pieds). Le feu a permis à l’homme d’augmenter sa résistance au froid ; il lui a donné de la nourriture plus saine (cuite) ; il a été le point de départ de multiples améliorations (la fusion du bronze, du fer, de l’acier) etc. La première étape de cet homme augmenté remonte à des temps immémoriaux, puisque les plus anciens outils retrouvés, en pierre, ont été utilisés, il y a environ 2,5 millions d’années, en Afrique. Condorcet avait anticipé, en son temps, une autre augmentation cruciale de l’humain avec d’autres outils : « On sent que les progrès de la médecine préservatrice, devenus plus efficaces par ceux de la raison et de l’ordre social, doivent faire disparaître à la longue les maladies transmissibles ou contagieuses, et ces maladies générales qui doivent leur origine aux climats, aux aliments, à la nature des travaux. Il ne serait pas difficile de prouver que cette espérance doit s’étendre à presque toutes les autres maladies, dont il est vraisemblable que l’on saura un jour reconnaître les causes éloignées.[3] » Les médicaments et la médecine modernes augmentent la résistance à la plupart des maladies. Pour Michel Serres, l’outil est connaturel à l’homme : « On ne saurait penser l’origine de la technique sauf l’origine de l’homme même, faber dès son émergence ou, mieux, émergent parce que faber. La technique est l’origine de l’homme; sa perpétuation et sa répétition. »[4]
Dès lors, trois étapes d’augmentations apparaissent. L’homme a d’abord prolongé son bras avec l’outil, et ce bien avant qu’il ne découvre le feu. Marshall Mac Luhan parle du langage comme prolongement de la pensée humaine[5]. Puis, il s’est réparé[6], en intégrant dans son propre corps des éléments externes : prothèse de main, de jambe, d’abord en bois puis en titane, dent artificielle, prothèse de hanche en cobalt ou en titane, jusqu’aux exosquelettes biomécaniques. Le transhumanisme serait donc une troisième étape, celle d’un homme cyber-augmenté, interfacé à la machine, et/ou bio-augmenté. Ce stade a déjà commencé avec la prothèse auditive, le stimulateur cardiaque (ou pacemaker), l’implantation récente de cœurs artificiels autonomes ou les exosquelettes biomécaniques (…).
Emmanuel Bertrand Egrefeuil
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