Plaidoyer pour une approche systémique

Dans les deux publications précédentes nous avons évoqué en introduction l’idée de faire le point face à la réglementation, son insertion dans nos sociétés et le fait d’aboutir cette réflexion par une recherche de changement de paradigme.
Rappelons que liberté et réglementation ne font pas souvent bon ménage. La réglementation n’étant pas une approche rationnelle au sens « scientifique » du terme elle est donc relative à de nombreux paramètres liés au contexte et aux hommes qui la décident et l’appliquent. A ce titre elle peut être structurante, avec un impact positif ou négatif. On n’en mesure les effets qu’à postériori. Ceci étant toujours relatif à celui qui l’interprète !

Comment la réglementation est-elle conçue et appliquée ? Est-elle utile, cohérente, nécessaire, suffisante, efficace ? Peut-elle être nuisible ? Sait-on faire marche arrière ? Est-ce la seule solution ?
Nous reviendrons sur ces sujets.

Si la liberté et la réglementation s’opposent, qu’en est-il de la liberté ?

Qu’y a-t-il de plus cher que la liberté ?
On s’est battu pour elle. Il y a eu des morts pour rendre la liberté à l’homme. Sortir de l’esclavage, sortir du joug autoritaire du tyran.
On s’est battu aussi pour l’égalité au prix même de cette liberté et aussi de nombreux morts.

Sommes-nous fondamentalement libres ? Dans quelle mesure l’homme peut-il l’être ?

Avons-nous des ailes ? Le pouvoir de voler ? non. Cette liberté ne nous est donc pas donnée.
Notre déterminisme nous contraint. Nous naissons avec un capital biologique. On le résume dans un mot : l’inné. Notre génome est en quelque sorte un codage d’où on ne peut s’échapper… à priori… Je mesure un mètre soixante-dix. Je ne suis donc pas libre de voir au-dessus de la foule comme mon voisin qui mesure deux mètres. Je n’y peux rien. Tout être humain n’est pas libre d’être ou agir autrement qu’à l’intérieur de ce que la nature lui a donné. Il n’a aucune connaissance et possibilité d’action sur la cause première ayant conditionné son existence.
Quoique…
Les trans-humains se révoltent et veulent modifier le génome humain, le coupler avec de l’électronique et de l’intelligence artificielle pour augmenter l’homme. Accroître sa liberté intrinsèque. Ils veulent aussi télécharger la conscience humaine dans du matériel informatique nous permettant de voyager à la vitesse de la lumière. Nous deviendrions ainsi une entité virtuelle. La nature de notre liberté changerait, certes, mais serait aussi limitée car ne pouvant plus accéder au monde physique.
Il y a là comme une sorte de contrainte originelle dans la cause première. Modifions cette cause et elle s’échappe à notre domination et même toute prévisibilité. Tant que l’on ne comprend pas le fondement de la cause première, nous serons originellement contraints. Donc ayant une liberté limitée à cette condition.

Nous pensons être libre de nos décisions. Est-ce vraiment sûr ? Et dans quelles conditions ? Puisque notre génome a fait de nous ce que nous sommes. Grands petits, intelligents ou moins intelligents, expansifs, introvertis, réactifs ou non. Un ensemble de critères intervenant sur nos choix, décisions ou action.

Pourtant, il nous semble avoir la possibilité de choisir, de décider librement de nos actes. Qu’en est-il réellement ?

A l’intérieur de ce que la nature nous a donné, qu’est-il possible de faire ? Y a-t-il un déterminisme qui nous donne une illusion de liberté ?

L’acquis nous façonne lui aussi. La culture, l’éducation, l’expérience sont autant de facteurs déterminants et orientant nos choix. Or l’acquis modifie notre biologie. A certains égards notre nature. Le vivant interagit avec son environnement et se comporte différemment en fonction de celui-ci. Notre cerveau par exemple se développe différemment en fonction de nos expériences et de ce qui imprime notre mémoire ou modifie notre intelligence.

Il est donc difficile d’être libre en étant enfermés entre tous ces déterminismes.

Ainsi sommes-nous enfermés dans un déterminisme lié à la nature… dont nous n’avons pas les clés… raison pour laquelle le transhumanisme, considérant la nature imparfaite, décide de la modifier en déplaçant les frontières. Jamais dans l’histoire de l’humanité il n’a été possible de modifier le génome. Maintenant oui.  S’agit-il ainsi d’une possibilité de modification de la cause première ?  Peut-être. Mais sans en comprendre les fondements. Ou cela nous conduira-t-il ? On ne sait pas.

Du point de vue de la liberté, on pourrait presque dire que l’homme tente d’étendre son champ d’action sur la cause première, ce qui ne lui était pas accessible avant.

Inné… qui s’impose à nous, malgré nous… sur lequel nous voulons agir…  Diderot disait « comment puis-je n’être pas moi en étant moi, puis-je faire autrement que moi ? » … bref, je suis ce que je suis, je ne peux pas faire autrement.

Dans une certaine limite nous pouvons modifier notre nature. Nos gènes mutent. L’épigénétique montre des changements dans l’activité des gènes. Laissons les spécialistes évoquer ces sujets.  En fait, ceci montre que notre parcours de vie influence la composition de nos gènes et leur activité. Un peu comme si, libre ou non, l’évolution de nos habitudes, de notre environnement, de nos choix, modifie cette cause première. Sans qu’on en comprenne réellement les fondements. Est-ce une certaine forme de notre liberté qui agit sur cette cause première par rétroaction ? Lorsque l’on développe des capacités nouvelles physiques on modifie son corps. Les activités intellectuelles, la méditation par exemple, provoquent le développement de neurones et synapses dans notre cerneau.

Nous démarrons grâce à l’inné pour lequel la vie nous a façonné. Puis vient l’acquis… Dans notre enfance l’éducation a créé d’autres déterminismes. Que l’on remet en cause « à certains égard » au moment de l’adolescence et après ; une liberté qui va créer ainsi de nouveaux déterminismes (changements, modifications de nos habitudes, nouvelles orientations et parcours de vie etc.). Aristote évoquait quelque chose comme ça : nouveaux déterminismes au début, remise en cause de ceux-ci puisque nous décidons de choisir, puis stabilisation de ces déterminismes. On le sait, en vieillissant, on n’a plus trop envie de remettre nos habitudes en cause. Consciemment ou inconsciemment. Peut-être même surtout inconsciemment.

Mais qui nous dit que la remise en cause de nos déterminismes acquis n’est pas malgré tout conditionnée par les déterminismes innés ? Les déterministes eux-mêmes ! Difficile de résister à cet argument.

Au fond pourquoi l’humain dispose de telles facultés notamment au niveau de l’acquis ?

Comparons avec les animaux :

Nous sommes envahis par des pulsions, pensées que nous ne maîtrisons pas. Un animal ayant une impulsion la traduit immédiatement en acte. Sa nature le pousse à …. Et il agit. Or il nous semble que l’animal est libre. L’humain dispose d’au moins une étape supplémentaire entre impulsion et action. Derrière le « au moins » il y a de multiples philosophies qui se sont développées au fil des époques et des grands philosophes. Mais quelle que soit l’analyse que l’on en fait, l’humain dispose d’une capacité d’analyse et de choix. Cette étape supplémentaire que n’a pas l’animal ! L’acquis chez l’animal développe de nouveaux automatismes (dressage).

Ainsi, l’humain fait appel à la raison, au raisonnement, à la délibération, bref au logos. Mais cette liberté ne peut intervenir que s’il y a un choix : « j’aimerai bien voler, mais pour le coup je n’ai pas le choix ». Parfois, choisir c’est vouloir. La volonté est puissance. Force de liberté, d’émancipation. Mais elle ne peut se concevoir que dans le possible. Il m’est arrivé de dire « je ne savais pas que c’était impossible, donc je l’ai fait ». La phrase n’est pas de moi. Elle est souvent bêtement utilisée en management. Mais c’est une erreur. On devrait plutôt dire ; « je ne savais pas que c’est possible, donc je ne l’ai pas fait ». Pire : « je suis un gros fainéant, je n’ai pas voulu me remettre en cause, prendre des risques, dépenser de l’énergie, bref, me remuer le c… pour y arriver. Mais j’étais libre de le faire parce que j’avais le choix ! ». Et de ce choix ressort l’action. Une suite d’actions produit la destinée…

Je résume donc : l’humain reçoit une impulsion, il peut s’en suivre une réflexion, une délibération interne faisant appel à la raison (logos), ceci lui permet de faire des choix, et d’agir. La somme des actions conduit à sa destinée.

Une boucle permanente entre déterminisme (inné et acquis) et une forme de liberté réflexive… Peut-on vraiment le dire ainsi ?

Luc Marta de Andrade

Vous pouvez pouvez retrouver cet l’intégralité de cette partie en cliquant sur le lien suivant : intégralité Plaidoyer pour une approche systémique 3