La location : une révolution (ancienne) de l’environnement, de l’emploi local et du lien social

« Nous ne possédons pas la Terre, nous l’empruntons à nos descendants ». Cette maxime attribuée à la sagesse amérindienne deviendra-t-elle le nouveau paradigme de nos sociétés ? Ses implications pourraient séduire nos responsables politiques, confrontés à des défis économiques, sociaux et environnementaux toujours plus inextricables.

Chacun aura compris la relation qu’elle nous invite à construire avec la Nature : « ne polluons pas la Terre, ne détruisons pas ses ressources, nous devrons la rendre à nos descendants telle qu’elle nous a été transmise. »

Cette injonction nous renvoie au péché originel de la propriété, selon le philosophe Michel Serres[1] : la pollution. A l’instar des animaux qui délimitent leur territoire en urinant, l’humain souille ses possessions, à commencer par son environnement, comme s’il n’avait de cesse d’affirmer sa domination. Les décharges sauvages, l’air vicié, les rivières charriant des déchets, les continents de plastique au cœur des océans nous en apportent, chaque jour, un peu plus la preuve.

Pour les Grecs, la modération était une vertu, et la démesure le pire des défauts (hybris). Plus tard, le catholicisme en déduisit quatre de ses sept péchés capitaux : l’orgueil (toujours plus d’honneurs), l’avarice (toujours plus d’argent), la gourmandise (toujours plus de nourriture), la luxure (toujours plus de plaisirs). Nos sociétés modernes en ont créé une hybridation, qu’elles ont du mal à assumer : la surconsommation.

L’humanité, chaque année, consomme toujours plus de ressources que notre planète en produit. Puis, les rejette dans la nature sous forme de déchets.

Cette double propension à surconsommer et à polluer, est intenable, sur le long terme.

La sagesse amérindienne nous invite à un autre modèle de développement, respectueux de la nature et soucieux de ses ressources.

La location incite à prendre soin du bien emprunté, car, à l’issue du prêt, le locataire doit rendre des comptes. Il doit retourner le matériel, le véhicule ou le logement dans l’état où il l’a reçu, sous peine de perdre sa caution.

Le prêt d’objets diminue le gaspillage, une autre cause majeure de pollution.

Le locataire tend à optimiser ses emprunts en fonction de ses besoins ; il perd de l’argent s’il n’utilise pas ce qu’il a loué.

Le bailleur est poussé à maximiser la durée de vie de son bien ; pour rentabiliser son acquisition, il a besoin d’une solution fiable, facile à réparer. Déployé à grande échelle, le prêt de matériels ou d’électro-ménager inciterait les fabricants à étendre les durées de garantie, et à mettre fin de facto à l’obsolescence programmée, à l’origine de tant de déchets inutiles.

Les avantages de la location ne se limitent pas aux aspects environnementaux.

L’Abbé Pierre disait que  » le travail est une des conditions de la dignité humaine, de la possibilité pour l’homme de conquérir sa liberté. »

Or l’emploi est plus que jamais menacé par les délocalisations et par l’automatisation.

Alors que nous sommes toujours plus nombreux sur cette planète, l’offre de travail ne cesse de diminuer. D’après une étude de chercheurs de l’université d’Oxford[2], 47 % des métiers pourraient disparaître d’ici à vingt ans, suite aux progrès de l’informatique et de la robotique. Pour la première fois dans l’histoire économique, on pourrait assister à la fin de la destruction créatrice théorisée par Joseph Schumpeter. Les emplois créés par les découvertes techniques ne compenseraient plus ceux détruits par l’augmentation induite de la productivité. Que se passera-t-il quand une entreprise comme Foxconn aura remplacé son million de salariés par des chaînes de production robotisées, comme elle se l’est promis ? La fabrication de masse du futur laissera peu de place à l’humain.

Cependant, la location de voitures, de matériels de bricolage, de jardinage, de meubles ou d’électro-ménager par exemple, nécessitera toujours du personnel pour l’accueil et la vente, le stockage, la maintenance. En les généralisant, nous passerions avantageusement d’emplois de production distants, voués à disparaître, à des activités de service locales et pérennes.

Emprunter suppose plus d’interactions avec le bailleur, qu’un acheteur d’un bien n’en a avec son vendeur. Alors que la solitude et l’isolement sont désormais reconnus comme des drames sociétaux et font l’objet d’initiatives fortes telle que Monalisa[3] en France, tout mouvement recréant du lien social doit être encouragé. Permettre à une personne isolée de louer son logement, ses outils de jardinage, de bricolage, ou à l’inverse de changer régulièrement son électro-ménager ou son mobilier, c’est lui offrir une nouvelle socialisation.

Aujourd’hui, les services de location ne cessent de gagner du terrain. Les entreprises ont de plus en plus recours au leasing de leur flotte de véhicules, de leurs imprimantes ou de leurs ordinateurs. Chaque année, de nouvelles villes à travers le monde s’ouvrent au prêt de vélos en libre-service ou à l’autopartage.

De nouveaux outils simplifient les échanges entre individus, tout en démultipliant leur usage. AirBnB a démocratisé la location de logement entre particuliers. Blablacar a monétisé avec succès l’autostop. Si besoin, le bailleur ou le locataire peuvent recourir à la photo et à la vidéo numérique pour faciliter l’état des lieux ou de l’objet avant et à l’issue du prêt. La révolution de la location est en marche.

Cependant, s’imagine-t-on louer ses vêtements ? ses chaussures ? un terrain foncier, au sens où quand on le rend, on enlève l’édifice qu’on y a construit ? Quelles contraintes imposer aux propriétaires ? De quels propriétaires parle-t-on (particulier, entreprise ou état) ?

Il faudra bien y réfléchir. La technologie et l’astuce des entrepreneurs ont montré que beaucoup de choses étaient possibles.

Les Romains distinguaient la propriété (abusus, ou nue-propriété), du droit d’usage associé (usus), de ce que l’on pouvait en récolter (fructus).

La location appartient, avec les autres services, à l’économie d’usage. Elle apporte des bénéfices, que les utopies n’espéraient plus en nous invitant à nous recentrer sur nos besoins (usus et fructus). Elle nous pousse à limiter le gaspillage, la production et la consommation outrancières, à développer des emplois locaux et pérennes, à renouveler les contacts humains.

Le nouveau paradigme est là : usus plutôt qu’abusus. Il ne tient qu’à nous de le saisir enfin à bras le corps.

Emmanuel Bertrand Egrefeuil

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[1] Michel Serres, Le mal propre, Poche, 2012.

[2] 47% des emplois pourront être confiés à des ordinateurs intelligents d’ici 20 ans, 01Net, 10/01/2014.

[3] MONALISA rassemble 448 organisations qui luttent ensemble contre l’isolement des âgés en soutenant et suscitant l’engagement bénévole de proximité : https://www.monalisa-asso.fr/monalisa/mobilisation.